vendredi 28 décembre 2012

Point de croix : Die Kreuzen



Un ami proche croyait que le disque était rayé quand il l'écouta pour la première fois. Ce n'était que le chaos ordonné du morceau « No time ». Cet album ? Vingt-et-un traits enflammés lancés sur les murailles d'une société assiégée. C'est le Hardcore-punk (HC en acronyme) chauffé dans l'Athanor nord-américain : vite, toujours plus vite, ne s'accorder que de courts instants de répit, reprendre les diatribes, ne pas chanter, hurler, feuler, être les bêtes en cage qui se heurtent aux barreaux, sans espoir de les tordre.

Millésimée 1984, la sortie du premier LP de Die Kreuzen a lieu au milieu de l'avalanche de sorties discographiques annuelles multipliée par 50 états que comptent les E.-U., chaque district ayant son groupe de HC, bien évidemment, ce qui ne rend pas toujours les groupes très visibles. Pour saisir le phénomène, il faut feuilleter quelques vieux numéros du fanzine Maximum Rock'n'roll, à la rubrique des chroniques de disques...

Imaginez que Die Kreuzen sont de Milwaukee, Wisconsin, la région des Grands Lacs. Une région qui ne fait pas spécialement parler d'elle. Or nous avons là un groupe qui, maniant un tempo frénétique et fracturé, nous accommode son malaise adolescent au moyen de textes brefs, violents et sans appel, d'une basse Rickenbacker précise et osseuse, d'une guitare omniprésente en solo comme en rythmique, se risquant rarement dans le mode majeur !

Une vraie catharsis musicale et vocale, vu la façon dont l'ensemble est régurgité : le disque s'écoute comme du live. Si on osait, et nous allons oser, nous les comparerions aux Wire de la période Pink Flag, avec moins d'accords majeurs, mais le même parti pris, à savoir, caser vingt-et-un titres sur un vinyl... Ultérieurement, ils enregistreront justement le morceau Pink Flag, qui aurait pu faire un superbe bonus pour leur premier album.

Terminons sur une impression : la pochette, avec ses monstres squelettiques, dans un paysage qu'on devine être industriel et noirâtre... Elle m'a toujours fait penser à un dessin de Franquin qui, dans son album « Idées noires » (1981), nous croque de jurassiques grues de chantier, cliquetant et grinçant dans la nuit. Je vous soumets les deux idées, et un témoignage sonore frénétique et jeune des Die Kreuzen : Dan Kubinski, Keith Brammer, Herman Egeness, Erik Tunison.
 

 In school - 1983 -

Voici le dessin de Franquin tiré des "Idées noires"...

...et les inquiétantes créatures en pointes et os de la pochette.

samedi 8 décembre 2012

Je suis d'ailleurs


Pour faire suite au post précédent, je soumets à la sagacité des lecteurs cette étrange couverture, qui a fait (fera) date dans la micro-histoire de l'édition.

Certains, je les entends déjà, diront que cela ne pouvait tomber que sur  H. P. Lovecraft : spécialiste ès-malédictions, connaisseur hors-pair des créatures d'outre-espace donnant envie de cesser séance tenante toute exploration martienne, expert en boites de Pandore dont l'ouverture révèle d'horrifiques panthéons, le voilà donc victime de la terrible et ignominieuse coquille de couverture.

Impossible à dissimuler, portant atteinte au patronyme révéré par beaucoup, infamante, car multipliée comme autant de rejetons de Yog-Sothoth à la pestilentielle aura..

Voilà l'écrivain qualifié de « Lovercraft », alors que « lover » n'est pas le mot qui vient (spontanément) à l'esprit lorsqu'on en aborde les écrits !

Mais cela, tout lecteur à l'esprit affûté l'aura compris : l'imprimeur a sans doute été trompé par quelque démon venu de l'océan, fâché de se voir révélé au grand jour par cet étrange homme du 19e siècle perdu au 20e.

Par-delà le mur de l'illustration, je vous propose en suffocation musicale une bonne dizaine de minutes en compagnie de Shub-Niggurath (le groupe français), vous allez entendre, ils sont (étaient plus exactement) de bonne compagnie et illustrent parfaitement les textes de H. P. Lovecraft.

T.-R.

 

mercredi 5 décembre 2012

Rudimentary H. P(eni) Lovecraft

En 1987 sort un album du groupe anglais Rudimentary Peni, sobrement intitulé « Cacophony ». Ce disque est extraordinaire. Il fait la jonction entre la thérapie psychiatrique, l'Atelier de Création Radiophonique de France Culture, et l'écrivain américain légèrement barré, H. P. Lovecraft.

Rudimentary Peni est connu plutôt pour ses courtes et incisives chansons punk, dotées de riffs imparables, associées à une rythmique basse/batterie métronomique assez enlevée. Il est vrai que cet album comporte quelques titres de ce genre, mais ce n'est pas là l'important. Au lieu d'une redite, on se trouve ici en présence d'un album concept, tournant autour de l'esprit et des écrits de H. P. Lovecraft, dont l'évocation et les citations tournent rapidement à la folie furieuse, l'angoisse irrationnelle, la crise délirante.

Pour commencer, il est impossible de qualifier une seule des chansons de Cacophony de... normale. Ça commence bizarrement, ça ne se se termine pas à proprement parler, et la majorité des textes n'est pas chantée !

Ils sont ainsi déclamés, au moyen de voix variant du murmure au hurlement, de l'aigü au grave, en passant par l'idiome rocailleux et roulant les « r » du gardien du pont, dans le « Sacré Graal » des Monty Python !

Affirmer qu'il y a trente titres sur cet album n'est pas suffisant pour le décrire, aussi vous conseillé-je de l'écouter. Il faut l'entendre pour le croire : quand un morceau démarre, puis s'interrompt au bout de cinquante secondes, surgissent des enregistrement de voix contrefaites, forcées, délirantes, au débit rapide, ou asthmatique, montées en parallèle sur la bande magnétique (d'où la référence que je fais à France Culture et ses ACR). Du coup, quand arrivent quelques solides accords punk-rock on serait prêt à pousser un soupir de soulagement, puisqu'enfin survient quelque musique à laquelle se raccrocher !

Ces juxtapositions de mots, citations, suites de noms propres lovecraftiens, logorrhées tourbillonnantes et autres ambiances étranges, font également appel aux mannes d'Edgar Allan Poe, et de Tod Browning... Du beau linge, Madame... Mais pour le repassage, on dira que c'est de l'art brut.

Cacophony est une œuvre que je mets aux côtés de celles d'Antonin Artaud : le disque aurait pu s'intituler « Pour en finir avec toute velléité de classement quelconque dans une petite case pratique qui permet au cerveau de s'endormir sans se poser trop de questions ». Grâce en soit rendue aux protagonistes de Rudimentary Peni : Nick Blinko (voix, guitare, dessins, textes), John Greville (batterie) et Grant Brand (basse).





La bande-son : un couplet sur H. P. Lovecraft...



T.R. (written in Dunwich or was it in Arkham ?)

dimanche 18 novembre 2012

Il est bon de se rappeler...



...que l'album « Never mind the bollocks » fut précédé de 45t, lesquels sortirent en France, chez Barclay, et ce fut donc le cas de « God save the queen ». Sa sortie officielle en Grande Bretagne eu lieu le 27 mai 1977.

Le scandale fut direct et imparable : s'attaquer à la monarchie (au moment de la célébration du jubilé de la reine) et inventer le slogan phare du mouvement punk (no future !) au moyen d'un petit rond de vinyle, bientôt diffusé dans le monde entier, eut un double effet.

En premier lieu, les Sex Pistols, qui commençaient à raser les murs depuis la mise en route de leur 1er hit « Anarchy in the UK », devenaient des ennemis public n°1. Johnny Rotten, le chanteur, ainsi que ses camarades, commencèrent à subir des attaques physiques directes, (couteau, barre de fer, lame de rasoir).

Mais dans un deuxième temps, l'esprit du « No future », qui au départ ne devait concerner que l'Angleterre et ses rêves déchus, allait se répandre, durant toute la  fin du 20e siècle, dans les esprits jeunes et moins jeunes, jusqu'à gagner le titre de philosophie quotidienne, d'analyse radicale, d'excuse typique, et de conclusion agaçante, pour tous les affairistes nous vantant la beauté des années à venir. Les Pistols avaient raison.
 
Sources : Jon Savage, England's dreaming - Les Sex Pistols et le mouvement punk, Allia, 2002 / Bang ! It's the Sex Pistols ! T. Schwartz in Newsweek 01/1978 /






vendredi 16 novembre 2012

Outsets

Outsets ? Et même pas de « the » devant le nom du groupe ? Eh bien non ! Il faut bien dire que la pochette de ce maxi EP n'aurait pas retenu mon attention (un calibre « on the rocks » dans une coupe, avec assortiment d’œillets fanés...) si je n'avais vu Ivan Julian au dos. Et là, il faut dire que l'autre guitariste des Voidoids a de quoi tirer nos neurones de la torpeur, qualifié qu'il est pour raviver nos souvenirs de la « blank generation ». Avec son complice Robert Quine, ils ont zébré le premier 33t de Richard Hell de superbe façon, donnant ses lettres sauvageonnes à l'écriture guitaristique, torturant l'électricité, passant les accords au scalpel du raffinement punk !

Alors certes, c'est le punk de New York, en lui-même assez varié (les Voidoids sont différents des Ramones qui n'ont pas grand chose en commun avec Blondie, cela a souvent été dit et rabâché, même si tous ces artistes évoluaient dans le même périmètre). Et quand on écoute Ivan Julian et ses Outsets, on a cette voix qui nous fait penser à celle de Richard Hell, et les éclairs de guitare qui nous rappellent ce superbe album qu'est Blank Generation. On est dans le même esprit.

Bien sûr, le EP qui vous vaut ce papier aujourd'hui est produit à la sauce de l'époque (eighties) par Garland Jeffreys. Un son poli, beaucoup trop poli et compressé. Trop maniéré et finalement paralysant l'énergie des titres. La conséquence en est une primo-déception qui vaudra à cette pièce de vinyl un long purgatoire dans le stock de disques, classé/délaissé/oublié à la lettre « O ». Il faut des années pour forger une écoute attentive. Revenir à cet enregistrement, c'est déjà admettre que les eighties sont loin derrière, et qu'on peut y trouver des pépites, si on se donne l'occasion de la réécoute .

Et justement, sur la toile, on pourra trouver une version live de « Young man's money »1, un titre énergique, à un moment où l’argent de poche manque à pas mal de plus jeunes ! En trente années de dépression économique, on pourra dire qu'il existe au moins une constante en la matière !

Les autres titres sont des ballades urbaines plus ou moins enlevées, avec de petites touches funk (Dancin' in the dark), des arpèges cristallins de guitare Fender qui se perdent quelquefois en distorsions liquides avec une voix quasi-new wave (Heart on fire) et ce qui aurait dû donner son titre au EP, le morceau Iceman, mais bon, si nous apprécions la guitare d'Ivan Julian, on ne peut que constater ici un manque de... créativité ! L'instant orgasmique du rock'n'roll n'est pas là ! OK, je joins à ce papier numérique deux vidéos : la version EP de « Young man's money » et « Blank generation », juste histoire de.

 1 – Live at WFMU / chatting with Terre T : un ensemble de titres enregistrés live en 2011...Trouvable, téléchargeable...

 




mercredi 22 août 2012

Kevin Coyne : le rasoir de Marjorie et ses manières abrasives

Banzaï ! Au sujet de Kevin Coyne, artiste anglais unique en son genre. Ah, une voix... Venue de nulle part dirait-on en première approche. De multiples notices parsèment la toile, et nous persuadent qu'il n'en est rien : sa vie, aux limites de la folie, ses goûts musicaux, ont poussé en ce sens. Tu fais avec la voix que tu as. Tu dis avec les mots que tu as glanés. Les chansons, elles n'ont rien perdu de ce côté abrasif et décalé...

Le double album « Marjory razorblade » n'est pas une partie de plaisir. Nous sommes loin des illusions des années soixante, et plus proche des névroses punk. Pas étonnant que Johnny Rotten, au grand dam de son producteur, ai passé du Kevin Coyne (Eastbourne ladies, 4e titre de la face 1 du double LP) lors de la seule émission de radio où il eut carte blanche pour la programmation musicale.

Pourtant Kevin Coyne, je ne peux pas dire que je le connais autant que ça... Je me souviens que le « Banzaï » qui retentit sur un de ses albums sorti dans les années 80 m'avait beaucoup impressionné : j'y sentais l'aliénation du travailleur à la chaine de chez Toyota, plus clairement exprimée que dans un tract syndical !

L'énergie désespérée et le regard ironique sur les choses et les êtres ? Eh bien, cela tombait plutôt mal au début des années soixante-dix, où la masse des auditeurs marchait sur les braises des utopies floues de la décennie précédente, ce feu qui allait s'éteindre. On a du dire à Kevin Coyne que sa musique, ses chansons, son attitude, étaient un peu décalées, pas assez dans le sens de la joie béate de rigueur, et que, commercialement, c'était le plongeon dans les abysses.

A l'heure où le folk et ses guitares sèches sont de retour, gardons-nous d'être béat : les visions du quotidien que Kevin Coyne projette sur le noir du vinyl sont nôtres. Elles n'ont pas quitté le monde que nous arpentons. Sa poésie touchait bien le cœur de la cible. Ce n'est pas fini.
 
Cette version de Marjory razorblade est boogie, décalée et …
Mais, ci-après, Banzaï est plus new wave, plus lisse et synthétique (1982 - LP "Politicz") ; totalement inquiétant, politiquement sans appel : la voix hésite entre cynisme et abandon... "Working in the factory..."

samedi 26 mai 2012

Acéphale

"Il est temps d'abandonner le monde des civilisés et sa lumière. Il est trop tard pour tenir à être raisonnable et instruit - ce qui a mené à une vie sans attrait. Secrètement ou non, il est nécessaire de devenir tout autres ou de cesser d'être.
Le monde auquel nous avons appartenu ne propose rien à aimer en dehors de chaque insuffisance individuelle : son existence se borne à sa commodité. Un monde qui ne peut pas être aimé à en mourir - de la même façon qu'un homme aime une femme - représente seulement l'intérêt et l'obligation au travail.
S'il est comparé avec les mondes disparus, il est hideux et apparaît comme le plus manqué de tous. Dans les mondes disparus, il a été possible de se perdre dans l'extase, ce qui est impossible dans le monde de la vulgarité instruite. Les avantages de la civilisation sont compensés par la façon dont les hommes en profitent : les hommes actuels en profitent pour devenir les plus dégradants de tous les êtres qui ont existé (...)"

Georges Bataille - avril 1936 -in Acéphale n° 3-4,  juillet 1937

vendredi 27 avril 2012

Adolescence aseptisée : si je ne consomme pas, c'est la société de consommation qui me dévore...

Dans ma collection d'album, la faucheuse fait son œuvre. Poly Styrene, cela fait juste un an qu'elle a quitté ce monde, à l'âge non-canonique de 53 ans. Elle avait chanté dans un vrai groupe punk/pop, fondé après qu'elle ait vu un concert des Sex Pistols, en 1976 : X Ray Spex (le nom des lunettes à rayons X, qui permettaient paraît-il de voir à travers les vêtements).


Un 45 tour (Oh bondage, up yours ! B/W I am a cliche) va lancer le groupe en 1977. Poly est reconnaissable entre mille avec sa voix haut-perchée, qui annonce les titres de ses morceaux, avec énergie ! X Ray Spex oscille entre punk enlevé et bluettes emplies de justes considérations sur la vie moderne et ses tracas.

A la différence des autres punks, X Ray Spex déploie une fraicheur inégalée à l'époque, utilise un saxophone, pour ponctuer mélodiquement ses chansons, joue avec sentiments et humour citadin. Certes, la carrière du groupe ne franchira que l'étape d'un premier album, et s'arrêtera là. Comme beaucoup... Regrets.

Le LP Germfree Adolescents a cette étrange pochette où l'on voit chaque membre du groupe dans un tube à essai (à l’abri des bactéries ?). Une belle trouvaille : les pochettes de 33t ont d'ailleurs toujours constitué un terrain favorable pour les graphistes ingénieux et novateurs.

Les douze chansons de l'album sont en phase avec l'époque : société de consommation dont on voudrait se défaire, obsessions urbaines, rebelles de l'asphalte (Warrior in Woolworths), identité et génie génétique (Genetic Engineering, très prophétique), le titre éponyme de l'album, Germfree Adolescents, est une sorte de ballade électrique, comme un slow punk (repris par Neneh Cherry de nos jours).


Voilà. Comme toujours, dans la profusion des groupes, des albums, des chansons, il est intéressant, sinon indispensable, d'aller chercher les pépites, de se souvenir de qui a marqué une année : en l’occurrence un petit bout de femme, qui ne serait jamais montée sur scène sans l'effervescence punk (du moins pour hurler de cette façon !), et qui a écrit un paragraphe de l'histoire du rock.
R.I.P. Poly. 

 

Sources : Dictionnaire du rock (M. Assayas) ; chroniques d'A. Wais (Le Monde) ; album d'X Ray Spex – Germfree Adolescents (EMI – 1978)

jeudi 19 avril 2012

Métal Urbain – Tôle froissée pour les hommes morts... Mais dangereux !


J'aurai une certaine jouissance à expliquer le choc qu'a été Métal Urbain pour moi. Voilà de la musique et des paroles en prise avec l'actualité de 1976-1978, mais qui curieusement sont devenues intemporelles, fondatrices et définitives. Ce sont des textes qui sonnent juste, écrits en français, et qui ne s’apitoient sur rien, ni la situation d'artiste, ou de guitariste, ni sur un plan de carrière impossible, ni sur les élites, ni sur ceux qui suivent les modes ou les courants politiques. Il ne s'agit pas d'une bande-son pour une utopie joyeuse.

Métal Urbain ou la fusion improbable d'un anarchisme lettré et d'un nihilisme revendiqué (ou d'un situationnisme suintant si l'on veut), avec le rock punk, ce dernier passé dans les bobinages de synthés non-planants. Métal Urbain qui invente un courant en soi : le synthpunk ! Et ça dégomme sec dans tous les compartiments : les titres de cette compilation (Les Hommes Morts sont dangereux, regroupant les premiers 45t et beaucoup d'autres gemmes), n'épargnent personne, et sous forme de tracts définitifs, envoient des shrapnells d'un bout à l'autre des tranchées. Je précise : je parle du vinyl sorti en 1981.

La société française fin 70 subit une sérieuse préparation d'artillerie, avec des titres comme 50/50, Anarchie au Palace, Paris Maquis (ce dernier étant pour moi l'archétype du morceau à emporter sur l'île déserte), Pop Poubelle, E202, mais d'autres textes abordent des sujets politiques aux contours moins nets, ainsi Ghetto, pour le destin individuel tout tracé, Numéro Zéro pour une tentative de maîtrise du (même?) destin, Futurama, Hystérie Connective, pour une société en perte de contrôle, où le rire ne cache pas le désespoir, ni le millénarisme à deux balles (souvenez-vous de l'an 2000 !) le vide abyssal du futur, Panik, vrai cauchemar à la japonaise, où un Godzilla robotique sème la terreur dans la ville, pendant que l'individu s'abandonne à la propagande par le fait, Atlantis, constat de disparition de la démocratie, critique directe sur fond de nouvelle vague (subversion, submersion), haine de l'argent, haine du « vieux monde » avec ses « héritiers déplorables... Fauteurs de révolution ».

Côté culturel, on trouve le « warholien » Lady Coca-Cola, un Ultra Violence marqué par Orange Mécanique (le film mythique des déviants post-hippy/proto-punk des seventies), et côté « glauque », un super duo formé de Snuff Movie et Crève Salope (qui n'est pas une redite de Panik !), qui montre une certaine attirance vers la fange et l'extrême (Sade ou Georges Bataille, mais en plus brut, c'est le média rock qui veut ça, je pense !). Enfin, je ne peux cacher l'extase totale que constitue le morceau Clé de Contact : critique de la révolution / libération sexuelle, dans le contexte punk. Après ça, plus rien n'est pareil...

Et voilà : iconoclaste et radical, Métal Urbain va inspirer pas mal de gens, du côté de la boite à rythme, mais ça ne donnera pas le même résultat, ça sonnera toujours moins bien. Les textes, idem: il manquera aux suivants la culture des années 70, contre laquelle Métal Urbain se rebellait, ou posait ses constats cyniques, en juxtaposant phrases coupantes comme des rasoirs et imprécations venimeuses.

A l'heure des réseaux, tout le monde peut aller chercher les informations manquantes de cette notule : les labels, les dates, le personnel, tout en notant bien que le groupe s'est reformé et a sorti de nouvelles choses, mais l'actualité n'est pas mon propos ici.

Sources : je n'ai pas relu « Punkitudes » sorti en 1978 aux éditions Rock & Folk. Et de toute façon, j'ai découpé les pages relatives à Métal U. pour mieux les idolâtrer sur les murs de ma chambre. Je n'ai pas consulté le Dico du Rock. Je n'ai pas lu grand chose sur Internet non plus. Ce disque, et son 45t joint dans la pochette, parle pour lui-même. Écoutez-le et écrivez votre chronique.
 

lundi 2 avril 2012

Durruti


En 1996, les Éditions de l'Insomniaque ont eu l'excellente idée de publier, en compagnie de quatre autres éditeurs européens, ce livre consacré à une figure du mouvement anarchiste espagnol et de la guerre civile, Buenaventura Durruti.

Son texte est rédigé en cinq langues : espagnol, anglais, allemand, italien et français. Son iconographie comprend des clichés rares, tirés des archives de l'écrivain espagnol Abel Paz (Diego Camacho) et qui font vibrer l'esprit de l'époque.

samedi 24 mars 2012

Vie bouillonnante et fièvre du sang : The Cramps

 
Une illumination. Comment peut-on appeler cela autrement ? J'écoutais distraitement un morceau de disco, du Boney M et soudainement, j'ai pensé aux Cramps. Ah ! Quel rapport y a-t-il entre la moquette de Bobby Farrell et les deux montres à quartz de Brian Gregory ? Ivy Poison aurait-elle été crédible en madone des dancefloors ? Et Lux Interior en strip-teaser ? (quoique, en concert...). En fait, le phénomène est plus d'ordre spirituel. Oui, spirituel.

Pourquoi, en 1975, monter un groupe comme les Cramps, qui enfourche les canons d'un rock'n'roll dont les derniers feux s'étaient consumés fin des années cinquante, ce qui pouvait paraître comme une régression totale, face aux étincelles de la scène punk naissante ?

Question de culture et d'esprit : quand on est fondu de disques de rock parus juste avant 1959, quand on s'intéresse fortement aux punk des sixties et quand on a dévoué sa vie à la sous-culture américaine des comics, films de série Z et autres bizarreries bon marché, on ne peut que fonder les Cramps ! Pas d'alternative (dans cet ordre d'idées, Boney M est une version cheap, grand public, de ce que doit être la disco : cette culture qui associe musique à danser imparable avec boule à facette, danseur (non-bodybuildé) chemise ouverte, avec force pilosité pectorale et choristes blacks... Dans l'imaginaire du producteur de Boney M, la disco, c'était ça ! ).

Cramponnés au rock : c'est ainsi qu'on peut décrire l'état d'esprit des Cramps. Il s'agit du rock d'avant, lorsqu'il était sauvage (et que les forces marketing ne l'avaient pas réduit à de la soupe pour ado formatés). Mais ils n'ont, malgré leur apparence, jamais été sectaires, simplement passionnés. Le rock redevenu sauvage, après son passage en Grande Bretagne, et essaimant de nouveau en punk garage aux Etats-Unis, les a aussi intéressés, comme en témoigne leur discographie. Nous ne sommes pas dans ce qu'on a pu appeler un temps du « punkabilly », mais au cœur d'une vraie démarche, bouillonnante. Lux Interior déclarait : « Yeah, we're into bloodlust, not death. Into boiling life

Pour les Cramps, le vaudou, les accessoires SM, le théâtre grandguignolesque, le tout à la sauce rock'nroll, est la materia prima de l'existence, ce qui pousse à ne pas se lever le matin, mais plutôt le soir, ce qui conduit à porter des lunettes de soleil dès que le jour paraît, et mène à des achats compulsifs de vinyles dans des boutiques interlopes... Et bien sûr tend à développer un extraordinaire sens de l'humour (noir et décalé)... Qui d'autre aurait pu écrire (dans « Mean Machine ») : « Ya wanna go to the Devil but you don't like the flames. »

Lux a certes rejoint l'arrière-boutique du marchand de farces et attrapes, mais nous sommes prêt à parier qu'il sort de temps en temps, pour faire trembler les murs et les armoires de vos grands-mères après minuit, alors... Remettez l'aiguille dans le vinyl, et sentez le désir venir du haut de votre épine dorsale, comme aurait dit Henry Miller !

Sources : The wild wild world of the Cramps – Ian Johnston (Omnibus Press) ; 1990 / Dictionnaire du Rock -sous la direction de M. Assayas - coll. Bouquins-Robert Laffont ; 2000

mardi 31 janvier 2012

Nous sommes revenus pour ne plus vous quitter (a collection of previously unreleased recordings performed by the Velvet Underground)



Pas évident de parler d'un groupe mondialement célèbre -le Velvet Underground- qui plus est, lié à Andy Warhol, à ses débuts. Un groupe dont on a tellement parlé ! Nous allons tenter. Il est vrai que les personnalités à l’œuvre n'arrangent pas les choses.

D'une part, il s'agit de ménager l'un (Lou Reed) pour ne pas négliger l'autre (John Cale), de considérer son approche de la guitare (« Si Dieu revient demain et qu'il me demande « Veux-tu être président ? » je réponds « Non. » « Veux-tu être politicien ? » « Non. » Veux-tu être avocat ? » « Non. » « Que veux-tu être ? » « Je veux être guitariste rythmique. ») comme un minimalisme intentionnel, et de voir que John Cale affirme une présence moins pop, avec des notes de violon alto qui durent et grincent, une basse à l'affût, une empreinte certainement plus îlienne, due à ses origines britanniques, et à sa connaissance de la musique contemporaine, alors que Lou Reed sera plus urbain, new-yorkais dans sa poésie en cul-de-sac. Mais d'autre part n'oublions pas, à la batterie, Moe Tucker, efficace derrière les fûts, quasi unique présence féminine dans un groupe de rock des années soixante et Sterling Morrison, guitare plus que rythmique, dans l'ombre de Reed et Cale. Cet alliage de quatre personnalités assez différentes et cultivées va se révéler très novateur.


Pour ce qui nous concerne, en 1984, un disque du Velvet Underground sort, avec des chansons enregistrées en 1968 et 1969, et qui s'étaient égarées, oubliées dans un tiroir de la maison de disque. On note la présence de John Cale sur deux titres seulement (il était sur un siège éjectable à l'époque). Il est remplacé par Douglas Yule pour les autres morceaux. Personne, à l'époque, n'avait voulu sortir un quatrième album du Velvet Underground, compte-tenu du résultat des ventes des précédents disques ! Tout ceci est évident à la lecture de Up-Tight de Victor Bockris et Gerard Malanga.


Car jamais un groupe n'aura eu autant d'influence et vendu aussi peu de son vivant : son mélange de Rock'n'roll et de mélodies gracieusement perverses, saupoudrées de bruits et cordes atonales, va s'infiltrer dans la culture rock, quarante ans durant, et cela continue, bien sûr. Le Velvet a inventé le principe du groupe maudit, dont tout le monde peut se réclamer... après ! Nous parions que cela n'existait pas... avant !


En effet, le rock, après l 'effervescence des années cinquante, avait très rapidement sombré dans la bluette, et l'énergie dégagée par ce style de musique ne cachait pas l'extrême minceur des paroles réduites à des gimmicks formatés pour le marché des ados. Le Velvet, ce sont des thèmes nettement plus adultes, ambivalents, malsains, complexes et risqués... Solitude urbaine, drogues et couloirs sans fin... On est loin également du psychédélisme béat, avec flower power et tout le marketing à l'avenant. Pas vendable à l'époque, ce Velvet ! Enfin, surtout pour les maisons de disques ! Andy Warhol ici joua le rôle de précurseur et considéra la musique du VU comme de l'art.


Trouve-t-on dans cet album « remixé pour correspondre aux standards actuels » un lien avec les premières années, à savoir, Warhol, la Factory, Nico... ? Ou bien des cauchemars induits par des substances illicites et l’univers de la nuit ? Une trace (la chanson « Andy's chest » en référence à Warhol), pour le reste, on oscille entre rock enlevé (I can't stand it, Foggy notion), pop « beatlesienne » (She's my best friend), ballades et simplicité. C'est tentant : vous avez envie de descendre dans votre cave, de prendre votre imitation de Fender ou Gibson, et de jouer ce que vous venez d'entendre, car ça paraît à portée, et il y a un résultat à la clé... Mais ce sont des chansons avec faille incluse, malaise au détour des mots : oubliez la pop et l'eau de rose, choisissez une lotion contre les démangeaisons !


Derrière le rite se cache la magie, fût-elle noire, et malgré les dénégations ultérieures des officiants. Lou Reed, grand communiquant, manipulateur et parano a tenté souvent de réduire le mythe à la portion congrue. Pour ne pas perdre le contrôle des événements, pour rester devant... Pour nier l’œuvre collective qu'est le Velvet.

Une fois bien écouté VU, l'empreinte est faite, définitive. VU s'insinue dans vos veines. En digne héritier des trois premiers opus, cet album est revenu du classement vertical, pour ne plus nous quitter...



Sources : Supertars : Guide maniaque du Velvet Underground et de la Factory d'Andy Warhol (Les Inrockuptibles 1990) – Dictionnaire du Rock (sous la direction de M. Assayas-coll. Bouquins-Robert Laffont 2000) – liner notes de l'album VU (K. Loder 1984) – The Velvet Underground Up-Tight / Victor Bockris & Gerard Malanga / Ed. du Camion Blanc 2004.

dimanche 29 janvier 2012

Des raisons de brasser sa bière...


« Mieux vaut cacher sa déraison, mais c'est difficile dans la débauche et l'ivresse », pouvait penser Héraclite. Et pourtant Machiavel écrivait à Francesco Vettori : « Qui verrait nos lettres, … il lui semblerait tantôt que nous sommes gens graves entièrement voués aux grandes choses, que nos cœurs ne peuvent concevoir nulle pensée qui ne fût d'honneur et de grandeur. Mais ensuite, tournant la page, ces mêmes gens lui apparaîtraient légers, inconstants, putassiers, entièrement voués aux vanités. Et si quelqu'un juge indigne cette manière d'être, moi je la trouve louable, car nous imitons la nature, qui est changeante ».
Vauvenargues a formulé une règle trop oubliée : « pour décider qu'un auteur se contredit, il faut qu'il soit impossible de le concilier ».
Certaines de mes raisons de boire sont d'ailleurs estimables. Je peux bien afficher, comme Li Po, cette noble satisfaction : « Depuis trente ans, je cache ma renommée dans les tavernes ».
La majorité des vins, presque tous les alcools, et la totalité des bières dont j'ai évoqué ici le souvenir, ont entièrement perdu leurs goûts, d'abord sur le marché mondial, puis localement ; avec les progrès de l'industrie, comme aussi le mouvement de disparition ou de rééducation économique des classes sociales qui étaient restées longtemps indépendantes de la grande production industrielle ; et donc aussi par le jeu des divers règlements étatiques qui désormais prohibent presque tout ce qui n'est pas fabriqué industriellement. Les bouteilles, pour continuer à se vendre, ont gardé fidèlement leurs étiquettes, et cette exactitude fournit l'assurance que l'ont peut les photographier comme elles étaient ; non les boire.

Guy Debord in Panégyrique – Tome premier – Editions Gérard Lebovici – 1989 – p. 49 et suiv.

dimanche 22 janvier 2012

Thoreau avait compris quelque chose de fondamental...

[…] Déjà, dans le Commencement Speech qu'il prononça à Harvard, en août 1837, sur l'Esprit Commercial, [Henry-David Thoreau] lance un défi à certains impératifs respectables, ou du moins respectés à Harvard : on devrait intervertir certaines règles, l'homme devrait travailler un jour par semaine pour gagner sa vie à la sueur de son front, et consacrer les six autres « aux affections et à l'âme » : doctrine à la fois irrévérencieuse et obscure qui impliquait déjà sa morale favorite : simplifiez ! […]

Henry-David Thoreau, cité par G. André-Laugier, dans l'introduction à Walden ou la vie dans les bois de Henry David Thoreau (Aubier-Montaigne, éd. Bilingue, p. 7 - 1967)

dimanche 8 janvier 2012

Are we not men ? Va savoir...

Alors, de façon abrupte, cela pourrait s'intituler : « extrait d'une émission de France Culture, datant de 1979, sur la New Wave, dans lequel on entend l'avis que porte Patrick Eudeline sur le groupe américain Devo ».

Ce document ne dure que peu de temps (17 secondes), et le fichier mp3 peut être téléchargé en suivant le lien ci-dessous. Il a été transféré d'une antique K7 audio et donc ne manque pas de souffle si je puis dire...
Bonne écoute !
 

PS : et voici pour les yeux et les oreilles, une version assez lente de Satifaction, live au Max's Kansas City de New York, qui documente bien l'étrangeté du groupe à ses débuts.