mardi 22 octobre 2013

Bref retour vers Brötzmann & Laswell : Low Life


Comme si n'en saviez déjà pas assez sur les deux compères dont il a été question dans l'article précédent ! Voici donc un duo qui n'a rien à voir avec tous les duos qui surgirent de droite et de gauche ces dernières années, puisqu'il ne s'agit ni de rock, ni de country, ni d'électro et tutti quanti (mais ceci n'est en rien une critique, bien sûr !).

Nous avons là un travail sur le son, avec force overdubs de basse et coulées de saxophone, plaintes et grincements improvisés, le tout restant comme on l'imagine aisément (surtout en sortant d'une bonne écoute de Last Exit !) assez brut de fonderie, même si du delay s'ajoute ici ou là, en un rythme claudiquant.


 
L'intention d'un side-project comme Low Life demeure la même depuis que l'art contemporain, en musique ou ailleurs, est ce qu'il est : la musique n'a pas à être prisonnière du beau, des formalités quotidiennes et n'a pas à être au service de qui ou quoi que ce soit 1.

L'objectif pourrait être une certaine idée de la liberté, si les mots avaient encore un sens, mais le 20e siècle a terni tout ça, le verni s'est écaillé. Ici, des individus s'autorisent une sorte de production sonore libre, qui n'est pas du bruit (mais on le devine tapis derrière les impulsions des doigts et les prises de souffle, une possibilité pour l'éveil), et qui n'est pas la musique que le quidam du 21e siècle attend !
 




Il paraît évident que cette tentative restera encore bien longtemps enterrée sous la production de masse que l'on nous vend à longueur d'écrans plats 2.

Que cela ne vous empêche pas d'écouter et de découvrir que, derrière les envolées angoissantes du saxophone de Peter Brötzmann et les martèlements des cordes produits par Bill Laswell, c'est une pulsion de vie qui se cogne la tête contre les barreaux de la cage.

 
1- Mais certes, il existe un « art actuel » veule et marchand. Rattachons-nous à cette citation d'Arnold Schönberg : « My music is not lovely ». Toutes proportions gardées, Low Life n'est pas « lovely » !
2- « I'm buried deep in mass production » : pour le coup, c'est une citation tirée de l'album « The Idiot » qu'Iggy Pop sortit en 1977, avec l'aide « massive » de David Bowie...



Death Rattle : vos oreilles doivent servir à quelque chose !

jeudi 12 septembre 2013

Bref tour sur une route de fer... Last Exit – Iron Path + Cassette Recordings 1987

Que faire quand un monolithe du genre d'Iron Path arrive sur la platine ? Dans un premier temps, on peut trouver le son de cet album relativement propre (et produit ! Mais n'est-ce pas le métier de Bill Laswell ?). Bon, en mettant le volume plus fort, on peut se faire une idée de la bande de magnifiques sauvages auxquels on a affaire ! Last exit ! Dernière sortie ? Dernière chance de raccrocher les wagons au train de la liberté...


Le panorama apparaît clairement lorsque l'aiguille du tourne-disque affronte « Lines of fire » du LP Cassette Recordings ! L'improvisation prend toute la face A et après, on peut sereinement reprendre l'écoute de l'autre album.

Trois vieux briscards du jazz-free (Ronald Shannon Jackson, Sonny Sharrock, Peter Brötzmann) associés au controversé (à l'époque – années 80-90) producteur-bassiste Bill Laswell, unis pour le meilleur et pour... proposer l'apocalypse murale, torrentielle, asociale (pour certains !) de leur musique. Déboulonnage de la tonalité, liberté du souffle, vibration sourde, remixé... L'underground peut-il tout ? N'oublions pas Dolphy, Coleman, Coltrane !

Le free (jazz) ne tirera jamais sa révérence : le sax en liberté de P. Brötzmann, la guitare impulsive de Sonny Sharrock, la basse tellurique de Bill Laswell, et le magnifique jeu de batterie de Ronald Shannon Jackson, captés dans leur improvisation, jamais domptés, toujours là où on les attend le moins, laissant l'auditeur pris au filet d'une transe inattendue, ne nous quitterons plus.

Symptôme : dès que R. Shannon Jackson attaque un rythme quelque peu « droit », les spectateurs manifestent, reprennent leur respiration, sifflent leur admiration. Puis le maelström reprend, et, logiquement, tout le monde est de nouveau collé au fauteuil !

Un blues venu du tréfonds des amplis peut surgir nous apostropher (Line of Fire, Big Boss Man). Des nappes de son peuvent nous envelopper et se résoudre en interpellation dictée par une batterie foisonnante (Prayer). Contrepied intéressant, le titre Iron Path s’avère plus méditatif ! Les morceaux de l'album Iron Path recèlent ainsi des trésors qu'il faut aller dénicher (clameurs et pépiements d'oiseaux sur The Fire Drum, qui par ailleurs se révèle être un blues épais comme le limon d'un grand fleuve !). Cependant, je ne vous détaillerai pas l'ensemble de l’œuvre... Car maintenant c'est à vous d'effectuer un grand pas vers un univers libre ! Ouvrez vos oreilles, laissez-vous gagner par l'exigence, rendez hommage au grand guitariste qu'était Sonny Sharrock : écoutez Last Exit !
 

 Un lien vers l'album Iron Path, mais les prestations scéniques
sont aussi à découvrir !


Et le troisième album, évoqué en juillet, direz-vous ? Bon, d'ici la fin du mois, vous verrez ce que peut la technique de Bill Laswell, alliée au saxophone vintage de Peter Brötzmann !


dimanche 21 juillet 2013

Pour septembre, ce sera Last Exit !

Nous nous poserons la question de savoir si l’underground peut tout.... Mais il faudra attendre quelques semaines ! Pour patienter,  je peux vous dire qu'il sera question de ce groupe (deux albums) et d'une collaboration entre deux éléments de ce groupe (un troisième LP donc).


Trois vinyles dans une chronique ? La rentrée sera free !

dimanche 30 juin 2013

This is Thunder - Et le tonnerre fit vibrer l'onde vinylique...

En ces temps digitaux, la venue, inattendue, d'une galette de vinyle, de couleur blanche de surcroit, sur notre bonne vieille platine datant de 1978, constitue un évènement en soi. Fatidique question, pour beaucoup : les disques, c'était comment déjà ? 1


This Is Thunder vient de sortir un E.P. (officiellement le 28 mai 2013) : d'ordinaire il est ici question de disques qui trainent depuis longtemps sur mes rayonnages . Mais il est bon de sortir de ses habitudes quelquefois. II s'agit donc de la première production d'un groupe actuel, composé de deux individualités aux parcours peu banals, Nopse (pour notre hexagone) et Jen Schande ( pour San Francisco -un pays en soi- ) : l'association des samples et de la distorsion, pour user d'un raccourci, et pour un résultat n'ayant rien à voir, à première écoute, avec les domaines de prédilection de chacun.

En effet, Nopse fait plutôt dans le son trituré, mixé, malaxé et mis en rythme façon noise/indus (mais cette description n'épuise pas le sujet) et Jen Schande est de son côté fiancée aux guitares avec distorsion, mais dotées d'une âme, comme sa biographie nous le prouve. 2
 
Dans This is Thunder, arpèges et voix se mêlent agréablement (pour the Arc of the Shot qui ouvre la face A), laissant une impression douce-amère, bientôt laminée par le deuxième titre -Shoot the Moon-, dans lequel la rythmique s'incarne en basse/batterie/guitare bien saturée offrant une autoroute pour la voix de Jen Schande, laquelle scande les mots d'une noirâtre comptine électrique, le tout enrobé de diverses textures sonores, distorsion, échos, le riff de base ne vous lâchant pas, jusqu'au refrain, ponctué d'after-beats métronomiques, la voix de Nopse intervenant enfin et... break ! Quelques notes et reprise du riff. En un peu plus de trois minutes l'affaire est entendue : This is Thunder a digéré pas mal d'influences -des années 90 et d'avant- pour ériger ce wall of sound !

Mais le meilleur, pour moi, est à venir : Please Find me en ouverture de la face B : cette chanson dégage une atmosphère double, aérienne et délétère, une odeur de terre après la pluie, un blues qui ne veut pas dire son nom, mais qui pointe le bout de son nez quand même, dans le tapis de distorsion mixé en fond, derrière la guitare acoustique... Même si le thème récurrent distillé aux synthés voudrait nous faire croire à la légèreté du temps qui passe... Humming, le dernier titre du E.P., vient confirmer nos impressions : l'atmosphère intimiste se révèle vénéneuse, la trouble fée du Rock'n'roll est à coup sûr venue jeter ses sorts dans le coin ! 3


Quand on sait que le E.P. de This is Thunder est né de rencontres en temps limité, d'idées mises au point sous contraintes géographiques et spatiales, on est séduit par le résultat, qui sait nous donner à la fois de l'espace et de la matière, là où auparavant il n'y avait que des esquisses.... Que dire pour terminer ? Voilà un disque pour être émerveillé et rester lucide aussi. Avec This is Thunder, j'apprécie cette petite pointe de mélancolie qui n'exclut pas la lumière, et nous attendons évidemment la suite !


Shoot the Moon

1 - En fait, pour être juste, Macario, corde vocale des Stanley Kubi, m'a offert le 33t de son groupe en 2008, mais c'est une histoire dont je reparlerai, et c'était tout pour ce début de 21e siècle. Et voilà que Nopse m'offre ce très beau 10" en vinyle blanc...

2 – Ainsi, Jen Schande a joué dans les groupes suivants : Boyskoot, Shove, Schande. En 2012, elle a sorti un LP titré « 19 / Songs for and inspired by Valencia chapter 19 ». Elle officie également comme D.J. à « El Rio » San Francisco. Il est permis, et conseillé,  de prêter une oreille attentive à tout ceci...

3 - Oui, je sais, les fées... Le Rock'n'roll... C'est en raison de la BD de Frank Margerin peut-être...

dimanche 23 juin 2013

Les rois du Rock






(…) L’idée d’évoquer notre désormais lointaine jeunesse m’est venue tout d’abord à la lecture d’articles ou d’ouvrages commis par d’anciens punks peroxydés, qui se présentaient comme de terribles activistes préparant la révolution, du fond de leur squat, armés d’une boite à rythmes et d’une guitare saturée. Puis à la vision de documentaires exsudant la testostérone et relatant les faits d’armes des preux défenseurs de l’Occident, des intrépides antifas ou des chasseurs de skins qui s’affrontèrent tout au long des années 1980. Je ne me suis pas reconnu dans de tels récits. Bien sûr, tout cela a existé. L’essor de ce qu’on a appelé le rock alternatif transformé des pans entiers de notre belle jeunesse en petits agités, et les plus déterminés d’entre eux se sont organisés pour contrecarrer l’hégémonie de skinheads fafs bien organisés eux aussi et passablement brutaux. De grandes violences se produisirent et se répétèrent. Sauf que la jeunesse qui emmerdait le Front national porte aujourd’hui des lunettes Afflelou et que le FN n’a pas reculé d’un pouce, bien au contraire.

Il me semble que ce qui fédérait réellement la plupart des garçons et des filles que je côtoyais alors, c’était une identique volonté de retarder le plus possible notre entrée dans le salariat, ou de l’oublier pour ceux qui avaient eu la malchance de se laisser prendre, de n’en faire qu’une parenthèse, certes longue, désagréable et chiante, d’une vraie vie qui se déroulait ailleurs, dans la rue, les bars, les concerts ou devant un tourne-disque. Mettre de la graisse dans ses cheveux, se réunir pour écouter ou jouer School Days de Chuck Berry, refuser de courir après les nouveaux hochets que nous proposait sans cesse le système et lui préférer nos vieux vinyles, c’était déjà une position éminemment politique, pas besoin de paroles engagées. D’ailleurs, aujourd’hui, les enregistrements des punks décolorés qui à l’époque méprisaient ces « revivalistes » de rockers sont généralement ringards et infatués, tandis que Gene Vincent ou Johnny Cash conservent toute leur fraicheur et sont indémodables. Cet amour du rock’n’roll ainsi qu’un socle scolaire commun minimal permettait à des jeunes de classes et d’origine différentes de se côtoyer et de s’apprécier. J’ai constaté, il y a déjà plus de quinze ans, qu’il est beaucoup plus difficile d’avoir un langage commun avec un garçon qui joue à un jeu électronique dans lequel il bute des Allemands dans un bunker, tout en ignorant si De Gaulle a vécu avant ou après Vercingétorix. C’est pourquoi je considère, aujourd’hui, que lutter efficacement contre les fascismes, c’est avant tout combattre l’ignorance. C’est un travail éducatif quotidien et patient, plus que n’importe quelle posture belliqueuse, qui fera reculer la bête immonde. (…)

Les rois du rock – Pelletier, Thierry – Éditions Libertalia - extrait pp. 147-149

samedi 1 juin 2013

Napalm Death : experts en solution auditive


Voici un groupe qui a créé un genre, avec les 28 titres de son premier album : le « grindcore », ou la manière de tronçonner, hacher menu, pulvériser, le son, les accords, la voix et le rythme. De l'émincé auditif radical. Chaque être humain devrait s'en écouter quelques micro-chapitres, en se levant le matin, de façon à savoir pourquoi il va se battre dans la journée. Cette cure n'est pas complexe à mettre en œuvre : les morceaux de Napalm Death, à leurs débuts, durent en général une trentaine de secondes. De l'acupuncture pour trompe d'Eustache. Voir l'album « Scum » ou les Peel Sessions pour ceci.

 
L'évolution en la matière passe par le perfectionnement du son : par là, il faut comprendre que les albums de Napalm Death bénéficient désormais d'une production plus métal que punk : mais les musiciens ne tombent pas pour autant dans une facilité qui dessert souvent les produits du genre. Les successions de riffs s'agencent, ne se répètent pas toujours, évitent les alternances classiques couplet-refrain-couplet, s'autorisent des digressions, veulent l'intelligence, plutôt que la radicalité vaine.

Les textes sont ciselés : très rarement y apparaissent les « four letter words » par lesquels le rock scandalise le réactionnaire(1). Napalm Death essaye de trouver les mégatonnes langagières dans les recoins de l'idiome. Un exemple d'une de leurs dernières interventions aurales : "...procrastination on the empty vessel / Toil to the bone so the machines roll on / Is this vague assumption / That a call to a halt will signal our untimely end ? / To labor so rigidly / All the safe havens of natural beauty (…)"(2). Ne nous sommes plus sur le bateau ivre de Rimbaud, mais dans les tourments de la réalité d'une société folle à lier. Nous sommes attachés à cette dernière, nous somme une pièce jointe ; faisant partie de ; concourant à.
 
Le maxi 6 titres Mentally Murdered (sorti en 1989 sur Earache Records) est assez remarquable, quoique clairement métal, lorgnant vers le Death !(3) 

Napalm Death y comprend encore trois membres quasi-historiques : Bill Steer à la guitare (parti dans Carcass) ; Lee Dorrian à la suffocation laryngale (parti fonder Cathedral) ; Mick Harris à la batterie (un des fondateurs de Napalm Death, qui créa Scorn -ambient glauque, et entre autres, participa à certains albums du saxophoniste d'avant-garde John Zorn – à ce sujet on peut penser à Painkiller) et Shane Embury, basse (toujours dans la formation actuelle).

Je vous rassure, les six morceaux de Mentally Murdered dépassent les trente secondes et sont envoyés avec maestria et sont techniquement sans faille. On peut légitimement être heureux que Napalm Death ait aussi su dépasser ce stade, pour actuellement nous proposer de nouveaux défis, de nouvelles rages, comme sur Utilitarian (2012), leur dernier opus à ce jour !

Et, si je peux me permettre un conseil, Mentally Murdered se doit d’être écouté en vinyl : CD ou autres formats numériques sont nettement moins « chauds » et tournent au grésillement mixé dans les médiums...

1- Si l'on excepte bien sûr leur reprise de « Nazi punks fuck off ! » des Dead Kennedys.

2- Paroles extraite de « Procrastination on the empty vessel », album « Time waits for no slave », 2009. Décernerons-nous un label éducatif à Napalm Death ? Le problème, mis en évidence par le sociologue F. Dubet ( in « les lycéens » Seuil, 1991 ) est que la culture « de l'extérieur de l'école », dès qu'elle est admise à l'intérieur du système éducatif, ne passionnera certainement pas ceux qui y transitent !

3- Sur le dos de la pochette, ils sont deux à arborer le T-shirt de Morbid Angel, une manière de référence, une manière de révérence...

Sources : Dictionnaire du rock (SLD M. Assayas) / Vu le groupe en live ! / Et leurs albums moult fois écoutés ! 


Rise above - Morceau 1 de la face A du maxi 12"

mercredi 1 mai 2013

Salad Days : en nos vertes années...

Mangez des salades ! En 1985 sort le dernier 45t de Minor Threat.

Minor Threat, le groupe de Washington D.C. qui, avec ses morceaux « Straight edge » et « Out of step » remit en vigueur la règle de Saint Benoit chez quelques punks-hardcore américains, option qui fit florès également sous nos latitudes, nous gratifie ici d'un brûlot partant d'une intro en harmoniques et basculant ensuite dans un excellent rythme enlevé, et un hardcore mélodique des familles, lequel mérite de figurer parmi les meilleurs hymnes punks des années 80, rien que ça, si, si!


Brian Baker mouline les notes à la basse, Jeff Nelson hache le temps, Tom Lyle envoie les flèches distordues et Ian Mc Kaye s'occupe de la corde vocale : « Salad days » 1 ! Le texte de la chanson ? Un peu d'ironie, un peu de moquerie, sur le fait de grandir (ce qui est assez compliqué dans le monde du rock). Trois titres sur ce EP, enregistré en 1983 : en plus de Salad days, on trouvera un morceau mid-tempo « Stumped », assez anecdotique, ainsi qu'une bonne reprise des Standells (Sometimes good guys don't wear white).

Entre 1979 et 1983, ils ont grandi ! Ils ont acquis une conscience, fondant leur label, Dischord Records, organisant leur distribution, gardant une honnêteté foncière, par rapport à l'affairisme du monde musical, promouvant végétarisme et action politique... Pour Ian Mc Kaye, les fées se sont concertées au-dessus du berceau... Et par ailleurs, Brian Baker officie dans Bad Religion et Dag Nasty, groupes également fondateurs !

Cela fait plus de trente ans que le label Dischord fait exception dans l'univers impitoyable des labels de disques, distribuant tranquillement, simplement, le rock hardcore et expérimental de Washington D.C. et ses environs. Jeter un coup d’œil sur leur catalogue, via leur site, est roboratif : pas de visuels outranciers, de marketing fumeux, d'emphase pourtant typique dans le milieu.

Trois harmoniques jouées à la basse, et c'est le frisson : la musique de l'instant, un instant qui vous correspond, se grave dans un pur vinyl noir, et ne vous lâchera plus !



1 - Your "Salad days" are the period in your life when you are young and inexperienced (in Collins Cobuild english language dictionary)

lundi 1 avril 2013

The Minutemen – Double Nickels on the Dime (deux pièces de cinq sur le zinc)



Trois potes de San Pedro (Cal. ; U.S.A.) : D. Boon (guitare, chant), Mike Watt (basse, chant), George Hurley (batterie). D'abord le nom. The Minutemen : se voulant fidèles au groupe anglais Wire(1), ils composaient, lors de leurs débuts, des chansons dépassant rarement la minute.

Mais cette référence au punk arty des britanniques n'était pas leur seul bagage. Alors que beaucoup des groupes de Los Angeles et Hollywood apprenaient sur le tas leurs accords définitifs, destinés à river son clou au vieux monde, les trois Minutemen, savaient jouer, et colportaient aussi de bien belles références au passé (que les jeunes punks pouvaient qualifier de dinosauresques, à savoir : Creedence Clearwater Revival, Fleetwood Mac, Blue Oyster Cult, entre autres).

Cependant, au contact de Black Flag, les excités novateurs, rebelles et infréquentables de L.A., ils comprennent vite que les années 70 sont terminées, et qu'il est temps de passer à autre chose. Ayant saisi l'idiome punk au vol, ils conçoivent leur musique non comme une une redite, mais plutôt comme une potion rock éclectique, à base de rythmique efficace et mercenaire, et de guitare incisive, hachant ses accords funk/punk, doublés de soli, sur lesquels on ne crache plus.

Se rajoutent à la texture sonore des paroles faisant preuve d'une conscience socio-politique qui dépasse les problèmes de la pré-adolescence, souvent chantés par D. Boon, en un mélange de rage et de vulnérabilité. On obtient ainsi une antithèse de la musique punk, que les Minutemen joueront pour les punks ! L'osmose se fait chez SST, le label de Black Flag. Les Minutemen y publieront pas moins de 4 albums, et 7 EP, sans compter les participations de rigueur à diverses compilations et une collaboration avec Black Flag (Minuteflag (2) ).
Double Nickels on the Dime : le double album où le talent des Minutemen est exposé, détaillé, gravé, en 45 chansons et autres coquecigrues, demeure une œuvre majeure des années 80. On peut y puiser, en fonction de l'humeur du moment, ce que l'on souhaite comme animation musicale pour ses neurones : l'absurdité journalière, la pesanteur sociale, l'humour, l'introspection, l'Histoire des États-Unis, la protestation libertaire... D'ailleurs, c'est cette dernière qui retint mon attention, il y a bien longtemps désormais, quand D. Boon, le chanteur/guitariste déclamait sur la chanson « Shit from an old Notebook » : «Let the products sell themselves, fuck advertising and commercial psychology (…) ».

Ironie de l'histoire : D. Boon a perdu la vie le 24 décembre 1985, dans un accident de voiture, alors que le titre du double album faisait référence à une vitesse limite sur autoroute... (3) Autre ironie, mais ça arrive dans le monde du rock : le titre « Corona » servira de thème à la série de télé-réalité américaine « Jackass », un genre de production à mille lieues de l'éthique des Minutemen, on s'en doute !
 
1 – Wire, qui dans son premier album « Pink Flag », avait aligné 21 morceaux, dont le remarquable « Field Day for the Sundays » que je me rappelle avoir chronométré à 27 secondes ! L'influence de Wire vaut pour les morceaux courts. Après, pour le côté funk nerveux et transistorisé, doublé de paroles ancrées dans le réel, on peut penser à des groupes tels que : Pop Group, Gang of Four, Scritti Politti et autres fleurons de la New Wave anglaise.

2 – Il avait été décidé que ce E.P. sortirai lorsqu'au moins l'un des deux groupes se serait dissous. Étrange, non ?

3 – Ce n'était pas lui qui conduisait... Les circonstances de l'accident n'avaient rien à voir avec la vitesse. Sa disparition signera aussi la désagrégation du label SST, concrétisée par le départ des Hüsker Dü vers une major du disque et la dissolution de Black Flag. Les Minutemen seraient certainement devenus importants dans le paysage musical, sans les limiter au punk-hardcore d'ailleurs. Le bassiste Mike Watt poursuit depuis une trajectoire en solo, ou en association avec d'autres musiciens. Il est resté cohérent avec l'esprit des Minutemen et perpétue le souvenir de son ami D. Boon.

Sources : American hardcore, a tribal history – S. Blush (Feral House 2001) ; la page Wikipedia (en anglais) sur les Minutemen (correctement sourcée) ; Dictionnaire du rock - Sous la direction de M. Assayas (R. Laffont – 2000)

 Vous n'y échapperez pas ! Voici Corona, le titre le plus
connu des Minutemen, à leur corps défendant en quelque
sorte : mais cette vidéo permet de voir la dextérité de D. Boon
à la guitare, la cohérence de la rythmique de Mike Watt et
George Hurley. Un vrai moment d'émotion : ils étaient grands et
pourtant simples ! Il n'est pas trop tard pour les apprécier !

 Et puis "The glory of man" archétype du punk-funk
et archétypal du groupe : dansez, maintenant !

R.I.P.  D. Boon

vendredi 1 mars 2013

Kicks Joy Darkness - Plaisir, joie, noirceur... Kerouac

 
Exception à la théorie de vinyles dont je vous ai entretenu au fil des mois : voici un disque compact, sorti en 1997, dans cette fin de XXe siècle où ce genre d'objet semblait avoir quelque avenir. (1) Il s'agit d'un spoken word & music album dans lequel une flopée d'artistes (et pas uniquement des musiciens !) rendent un hommage à Jack Kerouac. 1957-1997 : les quarante ans de la sortie du mondialement célèbre « On the road ».

Mais de « Sur la route », il n'est point question ici. Le format est celui du poème, du texte déclamé ou susurré. Pas beaucoup de rock, même si on note la présence de Steven Tyler (Aerosmith), Joe Strummer (Clash et autres -et pour sa part, il a le privilège de poser quelques accords sur la voix enregistrée de Kerouac !), Patti Smith, Lenny Kaye, Thurston Moore, Lee Ranaldo, Mark Sandman (Morphine), Jeff Buckley, Eddie Vedder, John Cale, Warren Zevon et Johnny Depp... Effectivement, il faut faire avec : Kerouac et le rock, ça fait deux. Donc, cette distribution prend ses distances avec son idiome habituel...

Sa musique, c'était le jazz, et on comprend, si l'on a quelque attention pour l'histoire du Rock'n'Roll, que ce dernier ait été perçu par lui comme une tocade sans grand intérêt, un bref engouement d'une partie de la jeunesse américaine, un courant musical vite transformé en machine à dollar pour auditeurs formatés et consentants. (2)

Pour parler rock, il est évident que le morceau « Skid row wine » est celui qui dépote le plus dans cet album : la voix trainante de Maggie Estep injecte le blues intégral, la pesanteur de l'existence qui a toujours imprégné Kerouac, (3) sous la peau de l'auditeur. La musique est rude, parsemée d'éclats tranchants, la saturation plaintive, titubante, glissante comme la chaussée pour l'ivrogne... Le riff pleure et... Bon, Kerouac n'aurait pas aimé ça. Mais peu importe, il n'aimait pas avoir le rôle de directeur de conscience.

Que retenir de Kicks Joy Darkness ? Une belle collection de textes, peu connus, voire inédits (America's new trinity of love : Dean, Brando, Presley où il est question plutôt des deux premiers que du dernier d'ailleurs...), des poèmes qui sortent de l'ordinaire, et des voix de contemporains de Kerouac (Ginsberg, Ferlinghetti, Burroughs), des voix de fantômes aussi (Hunter S. Thompson totalement foutraque, stentor nourri au mélange cigarette/whisky, sans compter le reste !), des notes de musique, certes, du folk, du blues, de l'ambiance sonique (le torrent électrique d'Inger Lorre)... Une atmosphère qui oscille suivant la trinité du titre : morsure du plaisir, illumination de la joie, et grands aplats de noirceur...

Bon. Il est temps de boire un coup. « Sittin and drinkin wine / And in railyards being divine » Jack Kerouac – tiré de « Pomes all size »
 ...and in railyards being divine !

1 - Les entreprises du disque s'étaient débarrassées du vinyl comme d'une séquelle du passé. Mais leur rond de plastique substitutif a subi une Bérézina sans nom, dans leur acharnement gestionnaire à ne pas voir le numérique saper leur rente, laquelle, pensaient-ils, était censée durer aussi longtemps que l'âge Jurassique (au moins !). Tout le monde peut assister aux contorsions pathétiques de ces mastodontes qui déplorent l'agonie de leur poule aux œufs d'or. Rappelons que ces sociétés philanthropiques ont allègrement entubés tous les amateurs de musique, parant le disque compact de toutes les vertus (augmentation du temps de stockage, inaltérabilité, pureté du son...) alors qu'ils tapaient dans leurs catalogues, sans investir un centime, ressortant des œuvres sans les remixer, s'abstenant d'offrir quoi que ce soit de plus, tant au point de vue des pochettes que des morceaux additionnels, le tout à un prix soigneusement étudié pour tondre au maximum le consommateur, presque sommé de refaire toute sa discothèque, afin de passer du ténébreux âge du disque noir à celui du disque novateur. Quelle blague ! L'intérêt des artistes ? Autre blague ! Tout le monde peut trouver maintenant les chiffres dans le labyrinthe réticulaire : les ventes de disques ne profitent qu'aux entreprises discographiques !

2 - Les jeunes s'investissent et investissent dans un mode d'expression, lequel est récupéré par l'industrie, qui formate la rébellion en retour, sous forme d'items commercialisables. L'industrie ? Pas besoin de transnationales de nos jours : un individu suffisamment âpre au gain suffira. Comme disait l'autre, puisque la société te met en demeure de devenir ton propre patron, ton efficient auto-gestionnaire, on récupère désormais à tous les niveaux : pourquoi diable ne laisse-t-on pas les « produits » se vendre tous seuls ? On y reviendra dans un prochain texte, où il sera question du groupe américain « The Minutemen ».

3 – Quand on lit « Les anges vagabonds » -Desolation angels- on est loin de la béatitude de « Sur la route ». Lorsque Jack Kerouac perçoit les limites du bouddhisme.


Je vous laisse avec l'interprétation de "Skid Row Wine"
par Maggie Estep & the Spitters







vendredi 1 février 2013

Too drunk to fuck : trop pinté pour fourrer

 
Ayant déjà dit tout le bien que je pense de l'opus du Géant Vert -post précédent- je n'insisterai pas sur la chronique qu'il rédige sur le premier 45 tours des Dead Kennedys (California über alles), ce groupe « essentiel et scandaleux » (1) dont la carrière s'échelonna de 1978 à 1986, en 4 albums, plus une flopée d'autres galettes.

Car d'un autre rond de vinyl il sera ici question : celui dans lequel, faisant foin de ses tendances politiques et idéologiques, Jello Biafra, le légendaire chanteur des Dead Kennedys se penchera sur un problème plutôt terre-à-terre ! Je veux bien sûr parler du 45t « Too drunk to fuck ».

Bon, s'il faut résumer le propos du titre, c'est « la déchéance alcoolisée d'un fêtard lambda, dont l'imprégnation le conduit à une flaccidité qui n'exclut aucunement les comportements erratiques en société », itinéraire passé au vitriol des lyrics de Biafra, avec un riff de guitare totalement rock'n'roll garage et halluciné (2) : une écoute et c'est l'addiction instantanée.

Du grand art donc, comme les DK savaient le faire en cette haute époque, avec l'aide de Geza X à la production. Ce qui nous donne un mixage « touffu » dans lequel on note de subtiles traces de clavier et en définitive, ce son qui symbolise pour moi l'année 1981, et qui constituera une base pour la texture sonore de l'album Plastic surgery disasters (1982), (bien que pour cette fois le producteur soit Thom Wilson).

Et si je me souviens bien, j'avais trouvé ce 45 tours à la Fnac des Halles, qui ressemblait alors à un antre de science-fiction à la moquette grise et usée, où différent éléments sonores se percutaient de rayons à rayons, où le plafond ne celait point ses tuyaux de ventilation et autre branchements électriques. Mettez là-dessus un bon éclairage au néon... Car la lumière du jour était bannie de cet endroit ! Rajoutez l'embouteillage de piétons... Les Halles, c'était l'apocalypse post-nucléaire à portée de métro ! 100 % punk !

1  -  Qualificatifs entendus sur France Culture, peut-être vers 1982, dans une émission ( Nuits magnétiques ? ) qui parlait de la Côte Ouest des États-Unis (Dead Kennedys, Target Video... ). Peut-être retrouverai-je des traces de ceci sur un coin de K7...

- Mais en fait ce riff n'est pas si aisé que ça à jouer : notes détachées et bien précises, notes étouffées, accords, démanchés... Ils ont dû s'amuser à mettre le morceau en place !



mardi 1 janvier 2013

Résolution de nouvelle année : une double page de lecture journalière...

Le petit livre que je présente ci-après propose 80 chroniques, papiers, présentations, pensez au terme que vous souhaitez, de 45 tours liés à l'effervescence punk, qui secoua, si vous ne le saviez déjà, les puces du monde occidental vers la fin des années soixante-dix.

« Blitzkrieg – Histoire du punk en 45 tours » de Géant Vert chez Hoëbeke est le compagnon qu'il vous faut pour l'année 2013. A raison de la lecture d'un article par tranche de quatre jours et demi, votre lecture durera bien 365 jours, et pour les boulimiques, ça durera une semaine, voire moins.

Dès l'introduction, nous sommes plongés dans l'atmosphère délétère de la fin des seventies. Ce qui me fait aimer ce bouquin, c'est déjà des phrases bien senties par rapport à l'esthétique des carrosseries de voitures françaises. Je me réfère à la télé : les seules vraies voitures se trouvaient dans les feuilletons british ou américains, et les pilotes c'étaient Starsky & Hutch, Brett Sinclair & Danny Wilde, ou les débiles de Hazzard...

La crise était là et les immeubles s'éteignaient le soir, et l'essence était plus vitale que la choucroute à Strasbourg ! Le rock était plus qu'encroûté (je vous passe le couplet sur les titres qui durent des plombes où l'ennui atteint des sommets qu'aucun remonte-pente digne de ce nom ne permet d'approcher). Quand au pattes d'éph' et aux cols roulé en synthétique... « Quand je sens une odeur de patchouli, je remplis mon chargeur. » (proverbe New Wave).

Je crois discerner dans la parole de Géant Vert la tendance que nous avions à extrapoler, voire amplifier et illuminer la moindre bribe d'information que l'on pouvait grappiller sur les groupes, tendances, disques, qui devenaient du jour au lendemain notre raison de vivre. Actuellement, c'est pour cela que j'apprécie Internet : si on cherche, on trouve... On vérifie aussi. Mais dans ces temps là, le fantasme allait bon train : un entrefilet, une notule, une dépêche, dans n'importe quel journal ou magazine, et on faisait nos délices de peu !

Lecture de bon aloi donc, pour qui veut se plonger dans les biographies des punks et associés, sur la période 1976-1979. Terminons avec deux petites choses.

Une remarque, à propos de l'émission « juke-box » de Freddy Hausser : il me semble que c'est fin 77 qu'elle se termina sur les tubes cathodiques d'Antenne 2 (et non pas en 1978), avec une série de vidéos consacrées aux groupes punks et quelques prise de vues de jeunes punks de l'époque... Je me souviens d'une phrase du genre : « Les punks ont le plus grand respect pour leur coiffeur... » . Je ne me souviens pas si la diffusion d'extraits de concerts du Festival de Mont-de-Marsan a eu lieu avant ou après cette émission, mais ça aussi ce fut magnifique !

Une photo, avec la couv' du bouquin, une relique : le sac en plastique du (fameux) magasin de disque « Music Box » dans lequel une vendeuse, qui ressemblait à la bassiste des Adverts (je ne peux le garantir !), plaça le 45 tours d'Asphalt Jungle que je venais d'acquérir (avec mes billets de 10 F. Richelieu certainement!). Ça devait être en 1978...