samedi 1 octobre 2011

Joy Division : « Tel qui se tue pour une garce fait une expérience plus complète et plus profonde que le héros qui bouleverse le monde. »


Mais Joy Division, le groupe, a, de fait, bouleversé le monde, et son chanteur, Ian Curtis, a réalisé ce que nous dit Cioran, et, en dehors de tout sensationnalisme macabre, ceci fait partie de la légende. Nous voilà très loin de l'univers du rock'n'roll, qui sous-entend, cuir, sueur, solos, et chambre d'hôtel hachées à la tronçonneuse. Nous passons ici le cercle polaire, et restons plutôt du côté obscur de la division boréale annuelle.

La rencontre du groupe et du producteur Martin Hannett sera décisive : ce dernier façonnera le son de Joy Division. Sa manière de travailler (réfrigérer le studio d'enregistrement, créer un climat d'inconfort psychologique pour les musiciens, fragmenter les sons et les retravailler jusqu'à les transformer en artefacts, n'aillant qu'un rapport lointain avec les timbres originels) va créer le phénomène : les deux albums studio de Joy Division ne ressembleront à rien de ce qu'on l'on a pu entendre auparavant.

Unknown pleasures et Closer vont transporter l'auditeur vers des contrées inexplorées : il aura fallu l'alliance d'un chanteur à l'énergie rentrée, très mal dans sa peau, mais ne l'exprimant que dans ses textes et sur scène, et de circonstances telles que le marasme touchant la cité de Manchester allié à l'effervescence punk, pour aboutir à l'alchimie minutieusement construite par Martin Hannett.

La flopée de bootlegs, 45t, maxi 45t, projets de labels qui jalonnent la courte destinée de Joy Division fait aussi partie du « package » : en sortiront l'excellent « Love will tear us apart », le véritable indicatif des années 80, pour peu que l'on se soit branché sur la New wave au moment propice. Et titre Ô combien prophétique concernant la destinée de Ian Curtis !

Une question que certains aimeraient voir poser au bac, en philo : « Les deux albums studio de Joy Division doivent-ils être emportés sur une île déserte ? ». Ne tiendraient-ils pas lieu de la bouteille de rhum et du pistolet chargé, que l'on donnait à celui qu'on abandonnait sur les sables, ou sur une barque, au milieu de l'océan ? Y a-t-il une lueur au bout de ce long cheminement que ponctue la voix grave de Curtis ? Hélas, l'apaisement que l'on peut trouver dans certains titres de Closer n'est que la brève oscillation d'un homme debout au bord d'une falaise.

Après la mort de ce dernier, les anciens de Joy Division animeront les années 80 de leur rythmes mécaniques et synthétiques, sous le nom de New Order : il faudrait un jour faire un article sur cette fascination morbide qui pousse certains à nommer leurs groupes en s'inspirant des heures noirâtres de l'Histoire. Affaire d'image ? Ignorance ? Joy Division a été un tel météore innovant que l'on a oublié la sinistre signification de leur nom... laquelle n'innovait en rien.



Sources : Dictionnaire du rock (Sous la direction de M. Assayas) comme d'habitude / des petits trucs à droite, à gauche, notamment l'opuscule de Jean-François Clément « A band in the decade » paru en 1988/ Le titre de l'article est une citation de Cioran in "Syllogismes de l'amertume" - coll. Idée-Philosophie - Gallimard - 1976 - p. 112