jeudi 14 juillet 2011

Des trucs dont ta mère ne t'a jamais parlé... Wayne County & the Electric Chairs



Au commencement était le Rock'n'roll. Dallas était une petite ville de province, dans l’État de Géorgie, E.-U. Y avait-il là-bas une place pour Wayne ? Certainement pas. Quand on se sent différent, on agit différemment : aussi, New York sera la destination la plus adéquate pour lui. Le New York des années soixante : théâtre expérimental, Andy Warhol, la clique « arty », l'avant-garde provocatrice d'où découlent les tendances des prochaines décennies.

Depuis son enfance, Wayne a eu la sensation d'être trahi par la biologie : de pencher plus du côté féminin que du côté masculin. S'il était né femme, sa vie aurait sans doute été plus facile, mais la nature en ayant décidé autrement, on peut voir toute sa trajectoire, dans les premières années, comme des essais de « gender bending », tentatives impressionnantes, qui feront école auprès de David Bowie, et des New York Dolls.

Pour lui, le rock est un moyen de condenser et de ressortir tout ceci : frustrations, désirs, théâtre, travestissement. Le montrer au spectateur. Wayne County & the Electric Chairs est la face rock du personnage : le combo qu'il s'est choisi pour se propulser sur la scène, atteindre plus de monde, sortir de la confidentialité. Le mouvement punk collera parfaitement à Wayne, musicalement et esthétiquement. L'album The Electric Chairs, malgré la production un peu lisse de Martin Birch, expédie ses brûlots (Out of control, Rock & Roll resurrection, Fuck off, et le traditionnel Max's Kansas City, en version speedée, pour ne citer que ceux-ci).

Les albums suivants montreront un côté plus personnel, voire politique, que purement provocateur. Et surtout, Wayne va réellement changer de genre et devenir Jayne. « Man enough to be a woman » pour résumer une métamorphose qui est tout sauf simple. Car pour ceux qui l'entourent, le caractère de Wayne/Jayne apparaît très instable et difficile à gérer. Des exemples sont donnés notamment par Henry Padovani dans son livre « Secret Police man ». Mais qui d'entre nous, engagé dans une pareille transformation, garderait toute sa tête, tout le temps ?

Son nom désormais inscrit dans l'histoire du rock, Wayne/Jayne County ne doit pas être oublié : pionnier du punk aux Etats-Unis (premier à diffuser les Pistols au Max's Kansas), promoteur du travestissement (New York Dolls), lanceurs d'idées (reprises par Bowie quand ce dernier commença à jouer sur son image androgyne), nous lui devons en fait beaucoup... Et si vous n'êtes pas d'accord, vous savez ce qu'il vous reste à faire !




Sources : Man enough to be a woman par Jayne County w/ Rupert Smith - Serpent's Tail ed. 1995 / notes de la compilation « Rock'n'roll Cleopatra » sur RPM Records 119 - 1993 / Secret Police man par H. Padovani - Flammarion 2006

jeudi 7 juillet 2011

Hüsker Dü : un cirque de métal...



84-85...Je me souviens du lieu : Fnac Montparnasse, rue de Rennes, Paris. Les doigts impatients qui cherchent dans le bac des vinyls. Autre chose. Non pas la première génération New wave, non pas la deuxième génération de punks british. Mais vraiment autre chose. Et voilà, dans mes mains, l'objet : une compilation titrée « Underground hits». Illustration hideuse, parfaite pour la bande-son d'un film d'horreur de série Z !

Mais les noms figurant au dos du disque attirent mon attention : ils appartiennent à la nouvelle scène US, laquelle a digéré la première offensive punk, pour la régurgiter en accélérant tout : tempo, lyrics, attitude, à fond les manettes, comme un wagonnet de mine sur le grand huit ! Jello Biafra, chanteur des Dead Kennedys (1) avait signalé tout ça à notre attention ! Les groupes : Angry Samoans, Youth Brigade, Meatmen, F.U.'s, Government Issue, Adrenalin OD. Belle brochette ! Ils deviendront des légendes, en bien comme en mal, d'ailleurs !

Et parmi eux Hüsker Dü, de Minneapolis, Ma, avec deux morceaux : la claque ! Je n'ai jamais entendu rien de semblable avant !Voix urgente, tempo furieux, accords & solos envoyés comme les étincelles d'une meuleuse d'angle : Deadly skies et Lifeline. Après écoute, les Hüskers devinrent mes dieux. Et le sont encore. Même si le groupe, on l'imagine fort bien, a disparu depuis longtemps.

Ces deux titres étaient extraits du EP « Metal Circus », soit 7 morceaux qui tournent en 45t sur un format de maxi. Une œuvre certes bourrée d'énergie bouillante, mais déjà très mature du point de vue du son et du propos, s'éloignant du Hardcore-punk quelque peu boyscout qui commence, à l'époque, à envahir les États-Unis, de Boston à SF.

La névrose sociale pointe le bout de son nez, le disque s'ouvre par Real World, une chanson quasi-réactionnaire, exprimant le refus d'un anarchisme de bazar (I don't practice what you preach and I won't see through your eyes), puis Deadly Skies (les manifestants ne savent pas ce qu'ils disent, et attendent que la télé soit là pour filmer), It's not funny anymore (tu peux faire ce que tu veux, ça n'a plus aucune importance), First of the last calls (perdition dans l'alcool, un mur de bouteilles, un homme seul ne pourra toutes les boire : les bouteilles gagneront la guerre, encore une fois...). Face B : Lifeline, Diane, Out on a limb : trois titres qui sont une plongée dans l'angoisse, la corde qui pourrait sauver glisse, les mains ne peuvent l'agripper, la branche casse, un rôdeur commet l'irréparable... Évidemment, tout ceci ne respire pas la joie de vivre !

Mais en janvier 83, dans l'Amérique de Reagan, de quelle joie de vivre peut-on se prévaloir ? Des pans entiers de l'économie ferment, les aides sociales sont supprimées, les SDF se comptent par dizaine de milliers dans les grandes villes, et la minuscule fraction de la jeunesse qui se lance dans les rythmes sauvages du Hardcore est le reflet de la société de l'époque : elle cherche une alternative, mais n'a aucun moyen de le faire politiquement. Elle fait entendre sa voix, dans la distorsion, elle rend compte, témoigne, enregistre, se perd aussi... « On ne sait jamais où mène une révolte... » disait J.-F. Bizot, feu directeur d'Actuel : cette révolte là mérite reconnaissance, même si elle n'a mené à rien de très tangible et qu'elle demeure très cryptique, pour le commun des citoyens. On ne m'empêchera pas de penser que ceci a plus de valeur qu'un apéro-Facebook...


  1. Sur l'insert de la compilation « Let them eat jellybeans » 1981, on trouvait une liste non exhaustive de groupes et individus caractérisés comme la nouvelle tendance de la scène punk US (To put it mildly this is the tip of the iceberg - disait Jello Biafra à ce moment...).

Sources : almanach Actuel 1978 (Article de JF Bizot) – Dictionnaire du rock (Sous la direction de M. Assayas - Edition Robert Laffont 2000  / American hardcore, a tribal history – S. Blush - Feral House 2001

mardi 5 juillet 2011

"I wipe the dead spider
off the statue's lips..."

Gregory Corso in Long live man (Corso - Sentiments élégiaques américains - Bourgois, 1977)

samedi 2 juillet 2011

Talking Heads : les aventuriers du centrisme-punk

Assurément, lorsque trois étudiants d'une école d'Arts (de Rhodes Island – Nouvelle Angleterre – E.- U.), plus un étudiant diplômé de Harvard (Cambridge – Massachussets - E.- U.) fondent un groupe de rock, on peut s'attendre à un premier opus sortant de l'ordinaire.
Plantons le décor : nous sommes en 1975, à New York et ses environs. Issus de la soupe primitive d'où émergera le courant artistique « punk », les Talking Heads se donnent une ligne de conduite « anti-showbiz, anti-arrogant, anti-glitter », caractérisée par leur apparence B.C.B.G.
En fait de Nouvelle Vague, on pourrait dire « surtout, pas de vagues » ! Ils créent une musique où les instrument habituels du rock'n'roll -guitare, basse, batterie- sont utilisés de façon formelle mais désuète, avec professionnalisme, à contretemps d'un rock révolté, qui, à l'époque, gronde et déborde de clubs tels que le CBGB.
Complètement décalés, ils vont faire leur chemin, se produisant dans les mêmes lieux que les Ramones, et au côté d'individualités remarquables comme Patti Smith, Tom Verlaine, Richard Hell. Tellement New Wave que les thuriféraires du punk prendront des distances avec eux. Décidément trop propres, trop « yuppies » pour représenter le même milieu urbain et noirâtre, saturé et déglingué, que les purs serviteurs du rock'n'roll en cuir !
Et leur album ? Il s'intitule « 77 », année punk de référence, et il ne l'est pas, évidemment. La voix haut perchée de David Byrne, le guitariste, qui écrit la plupart des chansons du groupe, va enchainer les 11 titres du LP, avec pour sujet de prédilection ses sensations, affects, bribes de réflexion, sentiments, questionnements personnels et déclarations d'intention. Inutile de préciser que cet univers auto-centré est à mille lieues de celui de la faune new-yorkaise se réclamant des Stooges et du Velvet Underground. Byrne invente ici une sorte de « centrisme-punk » qui fera peu à peu école.
L'album dispose d'un tube planétaire : « Psycho killer », matraqué par les radios à l'époque, et qui lançe réellement le groupe : du coup, les autres titres sombrent dans l'oubli, alors qu'ils caractérisent beaucoup mieux la démarche des Talking Heads, qui n'est pas celle de VRP œuvrant pour le bien-être individuel, mais suinte d'une ironie étonnante-détonante, vu le contexte Américain... « Uh Oh love comes to town », « New feeling », « No compassion », « Don't worry about the government » n'auront pas droit au repêchage. Du moins, pas tout de suite : 30 ans après, nombreux sont les groupes influencés par cette pop étrange et rythmée, rythmique funk sur guitares incisives, et décalage contrôlé.
Le deuxième album viendra vite, et sera dans la même veine que le premier : le tube en sera « Take me to the river », une reprise de Al Green. Mais le joyau sera le troisième album du groupe, « Fear of music », que l'on peut sans crainte emmener sur l'île déserte. On en reparlera.

Sources : Le Monde (1977-1978) chroniques de A. Wais - Newsweek, 09-4-78 : Article "Straight talk" de Tony Schwartz- Please kill me de Legs Mc Neil, Penguin Books 1996- NY Times book review, july 28, 1996 – Dictionnaire du Rock (sous la direction de M. Assayas) Editions Robert Laffont, 2000

T.-R.

This work is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 3.0 Unported License.
Creative Commons License

Graduellement les articles de Tuning Razorblades concernant les disques seront placés sous licence Creative Commons, comme indiqué ci-dessus. Cela concerne aussi les illustrations réalisées par Tuning Razorblades. Les liens éventuels vers d'autres sites et destinés à illustrer les articles, comme celui posé ci-dessous, ne dépendent pas de ce type de licence, puisque mis sur la toile par un internaute lambda inconnu du rédacteur.
T.-R.  2013



Ce lien amène à la chanson "Don't worry about the government"
Une pépite à réhabiliter !