dimanche 29 janvier 2012

Des raisons de brasser sa bière...


« Mieux vaut cacher sa déraison, mais c'est difficile dans la débauche et l'ivresse », pouvait penser Héraclite. Et pourtant Machiavel écrivait à Francesco Vettori : « Qui verrait nos lettres, … il lui semblerait tantôt que nous sommes gens graves entièrement voués aux grandes choses, que nos cœurs ne peuvent concevoir nulle pensée qui ne fût d'honneur et de grandeur. Mais ensuite, tournant la page, ces mêmes gens lui apparaîtraient légers, inconstants, putassiers, entièrement voués aux vanités. Et si quelqu'un juge indigne cette manière d'être, moi je la trouve louable, car nous imitons la nature, qui est changeante ».
Vauvenargues a formulé une règle trop oubliée : « pour décider qu'un auteur se contredit, il faut qu'il soit impossible de le concilier ».
Certaines de mes raisons de boire sont d'ailleurs estimables. Je peux bien afficher, comme Li Po, cette noble satisfaction : « Depuis trente ans, je cache ma renommée dans les tavernes ».
La majorité des vins, presque tous les alcools, et la totalité des bières dont j'ai évoqué ici le souvenir, ont entièrement perdu leurs goûts, d'abord sur le marché mondial, puis localement ; avec les progrès de l'industrie, comme aussi le mouvement de disparition ou de rééducation économique des classes sociales qui étaient restées longtemps indépendantes de la grande production industrielle ; et donc aussi par le jeu des divers règlements étatiques qui désormais prohibent presque tout ce qui n'est pas fabriqué industriellement. Les bouteilles, pour continuer à se vendre, ont gardé fidèlement leurs étiquettes, et cette exactitude fournit l'assurance que l'ont peut les photographier comme elles étaient ; non les boire.

Guy Debord in Panégyrique – Tome premier – Editions Gérard Lebovici – 1989 – p. 49 et suiv.

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