vendredi 28 décembre 2012

Point de croix : Die Kreuzen



Un ami proche croyait que le disque était rayé quand il l'écouta pour la première fois. Ce n'était que le chaos ordonné du morceau « No time ». Cet album ? Vingt-et-un traits enflammés lancés sur les murailles d'une société assiégée. C'est le Hardcore-punk (HC en acronyme) chauffé dans l'Athanor nord-américain : vite, toujours plus vite, ne s'accorder que de courts instants de répit, reprendre les diatribes, ne pas chanter, hurler, feuler, être les bêtes en cage qui se heurtent aux barreaux, sans espoir de les tordre.

Millésimée 1984, la sortie du premier LP de Die Kreuzen a lieu au milieu de l'avalanche de sorties discographiques annuelles multipliée par 50 états que comptent les E.-U., chaque district ayant son groupe de HC, bien évidemment, ce qui ne rend pas toujours les groupes très visibles. Pour saisir le phénomène, il faut feuilleter quelques vieux numéros du fanzine Maximum Rock'n'roll, à la rubrique des chroniques de disques...

Imaginez que Die Kreuzen sont de Milwaukee, Wisconsin, la région des Grands Lacs. Une région qui ne fait pas spécialement parler d'elle. Or nous avons là un groupe qui, maniant un tempo frénétique et fracturé, nous accommode son malaise adolescent au moyen de textes brefs, violents et sans appel, d'une basse Rickenbacker précise et osseuse, d'une guitare omniprésente en solo comme en rythmique, se risquant rarement dans le mode majeur !

Une vraie catharsis musicale et vocale, vu la façon dont l'ensemble est régurgité : le disque s'écoute comme du live. Si on osait, et nous allons oser, nous les comparerions aux Wire de la période Pink Flag, avec moins d'accords majeurs, mais le même parti pris, à savoir, caser vingt-et-un titres sur un vinyl... Ultérieurement, ils enregistreront justement le morceau Pink Flag, qui aurait pu faire un superbe bonus pour leur premier album.

Terminons sur une impression : la pochette, avec ses monstres squelettiques, dans un paysage qu'on devine être industriel et noirâtre... Elle m'a toujours fait penser à un dessin de Franquin qui, dans son album « Idées noires » (1981), nous croque de jurassiques grues de chantier, cliquetant et grinçant dans la nuit. Je vous soumets les deux idées, et un témoignage sonore frénétique et jeune des Die Kreuzen : Dan Kubinski, Keith Brammer, Herman Egeness, Erik Tunison.
 

 In school - 1983 -

Voici le dessin de Franquin tiré des "Idées noires"...

...et les inquiétantes créatures en pointes et os de la pochette.

samedi 8 décembre 2012

Je suis d'ailleurs


Pour faire suite au post précédent, je soumets à la sagacité des lecteurs cette étrange couverture, qui a fait (fera) date dans la micro-histoire de l'édition.

Certains, je les entends déjà, diront que cela ne pouvait tomber que sur  H. P. Lovecraft : spécialiste ès-malédictions, connaisseur hors-pair des créatures d'outre-espace donnant envie de cesser séance tenante toute exploration martienne, expert en boites de Pandore dont l'ouverture révèle d'horrifiques panthéons, le voilà donc victime de la terrible et ignominieuse coquille de couverture.

Impossible à dissimuler, portant atteinte au patronyme révéré par beaucoup, infamante, car multipliée comme autant de rejetons de Yog-Sothoth à la pestilentielle aura..

Voilà l'écrivain qualifié de « Lovercraft », alors que « lover » n'est pas le mot qui vient (spontanément) à l'esprit lorsqu'on en aborde les écrits !

Mais cela, tout lecteur à l'esprit affûté l'aura compris : l'imprimeur a sans doute été trompé par quelque démon venu de l'océan, fâché de se voir révélé au grand jour par cet étrange homme du 19e siècle perdu au 20e.

Par-delà le mur de l'illustration, je vous propose en suffocation musicale une bonne dizaine de minutes en compagnie de Shub-Niggurath (le groupe français), vous allez entendre, ils sont (étaient plus exactement) de bonne compagnie et illustrent parfaitement les textes de H. P. Lovecraft.

T.-R.

 

mercredi 5 décembre 2012

Rudimentary H. P(eni) Lovecraft

En 1987 sort un album du groupe anglais Rudimentary Peni, sobrement intitulé « Cacophony ». Ce disque est extraordinaire. Il fait la jonction entre la thérapie psychiatrique, l'Atelier de Création Radiophonique de France Culture, et l'écrivain américain légèrement barré, H. P. Lovecraft.

Rudimentary Peni est connu plutôt pour ses courtes et incisives chansons punk, dotées de riffs imparables, associées à une rythmique basse/batterie métronomique assez enlevée. Il est vrai que cet album comporte quelques titres de ce genre, mais ce n'est pas là l'important. Au lieu d'une redite, on se trouve ici en présence d'un album concept, tournant autour de l'esprit et des écrits de H. P. Lovecraft, dont l'évocation et les citations tournent rapidement à la folie furieuse, l'angoisse irrationnelle, la crise délirante.

Pour commencer, il est impossible de qualifier une seule des chansons de Cacophony de... normale. Ça commence bizarrement, ça ne se se termine pas à proprement parler, et la majorité des textes n'est pas chantée !

Ils sont ainsi déclamés, au moyen de voix variant du murmure au hurlement, de l'aigü au grave, en passant par l'idiome rocailleux et roulant les « r » du gardien du pont, dans le « Sacré Graal » des Monty Python !

Affirmer qu'il y a trente titres sur cet album n'est pas suffisant pour le décrire, aussi vous conseillé-je de l'écouter. Il faut l'entendre pour le croire : quand un morceau démarre, puis s'interrompt au bout de cinquante secondes, surgissent des enregistrement de voix contrefaites, forcées, délirantes, au débit rapide, ou asthmatique, montées en parallèle sur la bande magnétique (d'où la référence que je fais à France Culture et ses ACR). Du coup, quand arrivent quelques solides accords punk-rock on serait prêt à pousser un soupir de soulagement, puisqu'enfin survient quelque musique à laquelle se raccrocher !

Ces juxtapositions de mots, citations, suites de noms propres lovecraftiens, logorrhées tourbillonnantes et autres ambiances étranges, font également appel aux mannes d'Edgar Allan Poe, et de Tod Browning... Du beau linge, Madame... Mais pour le repassage, on dira que c'est de l'art brut.

Cacophony est une œuvre que je mets aux côtés de celles d'Antonin Artaud : le disque aurait pu s'intituler « Pour en finir avec toute velléité de classement quelconque dans une petite case pratique qui permet au cerveau de s'endormir sans se poser trop de questions ». Grâce en soit rendue aux protagonistes de Rudimentary Peni : Nick Blinko (voix, guitare, dessins, textes), John Greville (batterie) et Grant Brand (basse).





La bande-son : un couplet sur H. P. Lovecraft...



T.R. (written in Dunwich or was it in Arkham ?)