vendredi 1 mars 2013

Kicks Joy Darkness - Plaisir, joie, noirceur... Kerouac

 
Exception à la théorie de vinyles dont je vous ai entretenu au fil des mois : voici un disque compact, sorti en 1997, dans cette fin de XXe siècle où ce genre d'objet semblait avoir quelque avenir. (1) Il s'agit d'un spoken word & music album dans lequel une flopée d'artistes (et pas uniquement des musiciens !) rendent un hommage à Jack Kerouac. 1957-1997 : les quarante ans de la sortie du mondialement célèbre « On the road ».

Mais de « Sur la route », il n'est point question ici. Le format est celui du poème, du texte déclamé ou susurré. Pas beaucoup de rock, même si on note la présence de Steven Tyler (Aerosmith), Joe Strummer (Clash et autres -et pour sa part, il a le privilège de poser quelques accords sur la voix enregistrée de Kerouac !), Patti Smith, Lenny Kaye, Thurston Moore, Lee Ranaldo, Mark Sandman (Morphine), Jeff Buckley, Eddie Vedder, John Cale, Warren Zevon et Johnny Depp... Effectivement, il faut faire avec : Kerouac et le rock, ça fait deux. Donc, cette distribution prend ses distances avec son idiome habituel...

Sa musique, c'était le jazz, et on comprend, si l'on a quelque attention pour l'histoire du Rock'n'Roll, que ce dernier ait été perçu par lui comme une tocade sans grand intérêt, un bref engouement d'une partie de la jeunesse américaine, un courant musical vite transformé en machine à dollar pour auditeurs formatés et consentants. (2)

Pour parler rock, il est évident que le morceau « Skid row wine » est celui qui dépote le plus dans cet album : la voix trainante de Maggie Estep injecte le blues intégral, la pesanteur de l'existence qui a toujours imprégné Kerouac, (3) sous la peau de l'auditeur. La musique est rude, parsemée d'éclats tranchants, la saturation plaintive, titubante, glissante comme la chaussée pour l'ivrogne... Le riff pleure et... Bon, Kerouac n'aurait pas aimé ça. Mais peu importe, il n'aimait pas avoir le rôle de directeur de conscience.

Que retenir de Kicks Joy Darkness ? Une belle collection de textes, peu connus, voire inédits (America's new trinity of love : Dean, Brando, Presley où il est question plutôt des deux premiers que du dernier d'ailleurs...), des poèmes qui sortent de l'ordinaire, et des voix de contemporains de Kerouac (Ginsberg, Ferlinghetti, Burroughs), des voix de fantômes aussi (Hunter S. Thompson totalement foutraque, stentor nourri au mélange cigarette/whisky, sans compter le reste !), des notes de musique, certes, du folk, du blues, de l'ambiance sonique (le torrent électrique d'Inger Lorre)... Une atmosphère qui oscille suivant la trinité du titre : morsure du plaisir, illumination de la joie, et grands aplats de noirceur...

Bon. Il est temps de boire un coup. « Sittin and drinkin wine / And in railyards being divine » Jack Kerouac – tiré de « Pomes all size »
 ...and in railyards being divine !

1 - Les entreprises du disque s'étaient débarrassées du vinyl comme d'une séquelle du passé. Mais leur rond de plastique substitutif a subi une Bérézina sans nom, dans leur acharnement gestionnaire à ne pas voir le numérique saper leur rente, laquelle, pensaient-ils, était censée durer aussi longtemps que l'âge Jurassique (au moins !). Tout le monde peut assister aux contorsions pathétiques de ces mastodontes qui déplorent l'agonie de leur poule aux œufs d'or. Rappelons que ces sociétés philanthropiques ont allègrement entubés tous les amateurs de musique, parant le disque compact de toutes les vertus (augmentation du temps de stockage, inaltérabilité, pureté du son...) alors qu'ils tapaient dans leurs catalogues, sans investir un centime, ressortant des œuvres sans les remixer, s'abstenant d'offrir quoi que ce soit de plus, tant au point de vue des pochettes que des morceaux additionnels, le tout à un prix soigneusement étudié pour tondre au maximum le consommateur, presque sommé de refaire toute sa discothèque, afin de passer du ténébreux âge du disque noir à celui du disque novateur. Quelle blague ! L'intérêt des artistes ? Autre blague ! Tout le monde peut trouver maintenant les chiffres dans le labyrinthe réticulaire : les ventes de disques ne profitent qu'aux entreprises discographiques !

2 - Les jeunes s'investissent et investissent dans un mode d'expression, lequel est récupéré par l'industrie, qui formate la rébellion en retour, sous forme d'items commercialisables. L'industrie ? Pas besoin de transnationales de nos jours : un individu suffisamment âpre au gain suffira. Comme disait l'autre, puisque la société te met en demeure de devenir ton propre patron, ton efficient auto-gestionnaire, on récupère désormais à tous les niveaux : pourquoi diable ne laisse-t-on pas les « produits » se vendre tous seuls ? On y reviendra dans un prochain texte, où il sera question du groupe américain « The Minutemen ».

3 – Quand on lit « Les anges vagabonds » -Desolation angels- on est loin de la béatitude de « Sur la route ». Lorsque Jack Kerouac perçoit les limites du bouddhisme.


Je vous laisse avec l'interprétation de "Skid Row Wine"
par Maggie Estep & the Spitters







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