jeudi 7 juillet 2011

Hüsker Dü : un cirque de métal...



84-85...Je me souviens du lieu : Fnac Montparnasse, rue de Rennes, Paris. Les doigts impatients qui cherchent dans le bac des vinyls. Autre chose. Non pas la première génération New wave, non pas la deuxième génération de punks british. Mais vraiment autre chose. Et voilà, dans mes mains, l'objet : une compilation titrée « Underground hits». Illustration hideuse, parfaite pour la bande-son d'un film d'horreur de série Z !

Mais les noms figurant au dos du disque attirent mon attention : ils appartiennent à la nouvelle scène US, laquelle a digéré la première offensive punk, pour la régurgiter en accélérant tout : tempo, lyrics, attitude, à fond les manettes, comme un wagonnet de mine sur le grand huit ! Jello Biafra, chanteur des Dead Kennedys (1) avait signalé tout ça à notre attention ! Les groupes : Angry Samoans, Youth Brigade, Meatmen, F.U.'s, Government Issue, Adrenalin OD. Belle brochette ! Ils deviendront des légendes, en bien comme en mal, d'ailleurs !

Et parmi eux Hüsker Dü, de Minneapolis, Ma, avec deux morceaux : la claque ! Je n'ai jamais entendu rien de semblable avant !Voix urgente, tempo furieux, accords & solos envoyés comme les étincelles d'une meuleuse d'angle : Deadly skies et Lifeline. Après écoute, les Hüskers devinrent mes dieux. Et le sont encore. Même si le groupe, on l'imagine fort bien, a disparu depuis longtemps.

Ces deux titres étaient extraits du EP « Metal Circus », soit 7 morceaux qui tournent en 45t sur un format de maxi. Une œuvre certes bourrée d'énergie bouillante, mais déjà très mature du point de vue du son et du propos, s'éloignant du Hardcore-punk quelque peu boyscout qui commence, à l'époque, à envahir les États-Unis, de Boston à SF.

La névrose sociale pointe le bout de son nez, le disque s'ouvre par Real World, une chanson quasi-réactionnaire, exprimant le refus d'un anarchisme de bazar (I don't practice what you preach and I won't see through your eyes), puis Deadly Skies (les manifestants ne savent pas ce qu'ils disent, et attendent que la télé soit là pour filmer), It's not funny anymore (tu peux faire ce que tu veux, ça n'a plus aucune importance), First of the last calls (perdition dans l'alcool, un mur de bouteilles, un homme seul ne pourra toutes les boire : les bouteilles gagneront la guerre, encore une fois...). Face B : Lifeline, Diane, Out on a limb : trois titres qui sont une plongée dans l'angoisse, la corde qui pourrait sauver glisse, les mains ne peuvent l'agripper, la branche casse, un rôdeur commet l'irréparable... Évidemment, tout ceci ne respire pas la joie de vivre !

Mais en janvier 83, dans l'Amérique de Reagan, de quelle joie de vivre peut-on se prévaloir ? Des pans entiers de l'économie ferment, les aides sociales sont supprimées, les SDF se comptent par dizaine de milliers dans les grandes villes, et la minuscule fraction de la jeunesse qui se lance dans les rythmes sauvages du Hardcore est le reflet de la société de l'époque : elle cherche une alternative, mais n'a aucun moyen de le faire politiquement. Elle fait entendre sa voix, dans la distorsion, elle rend compte, témoigne, enregistre, se perd aussi... « On ne sait jamais où mène une révolte... » disait J.-F. Bizot, feu directeur d'Actuel : cette révolte là mérite reconnaissance, même si elle n'a mené à rien de très tangible et qu'elle demeure très cryptique, pour le commun des citoyens. On ne m'empêchera pas de penser que ceci a plus de valeur qu'un apéro-Facebook...


  1. Sur l'insert de la compilation « Let them eat jellybeans » 1981, on trouvait une liste non exhaustive de groupes et individus caractérisés comme la nouvelle tendance de la scène punk US (To put it mildly this is the tip of the iceberg - disait Jello Biafra à ce moment...).

Sources : almanach Actuel 1978 (Article de JF Bizot) – Dictionnaire du rock (Sous la direction de M. Assayas - Edition Robert Laffont 2000  / American hardcore, a tribal history – S. Blush - Feral House 2001

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