De vieux vinyles en mode punk, HC, et autres qui méritent quelques mots.
Des textes qui méritent citation.
Pour une méritocratie affective, somme toute...
Comme si n'en saviez déjà pas
assez sur les deux compères dont il a été question dans l'article
précédent ! Voici donc un duo qui n'a rien à voir avec tous
les duos qui surgirent de droite et de gauche ces dernières années,
puisqu'il ne s'agit ni de rock, ni de country, ni d'électro et tutti
quanti (mais ceci n'est en rien une critique, bien sûr !).
Nous avons là un travail sur le
son, avec force overdubs de basse et coulées de saxophone, plaintes
et grincements improvisés, le tout restant comme on l'imagine
aisément (surtout en sortant d'une bonne écoute de Last Exit
!) assez brut de fonderie, même si du delay s'ajoute ici ou là, en
un rythme claudiquant.
L'intention d'un side-project
comme Low Life demeure la même depuis que l'art
contemporain, en musique ou ailleurs, est ce qu'il est : la
musique n'a pas à être prisonnière du beau, des formalités
quotidiennes et n'a pas à être au service de qui ou quoi que ce
soit 1.
L'objectif pourrait être une
certaine idée de la liberté, si les mots avaient encore un sens,
mais le 20e siècle a terni tout ça, le verni s'est
écaillé. Ici, des individus s'autorisent une sorte de production
sonore libre, qui n'est pas du bruit (mais on le devine tapis
derrière les impulsions des doigts et les prises de souffle, une
possibilité pour l'éveil), et qui n'est pas la musique que le
quidam du 21e siècle attend !
Il paraît évident que cette
tentative restera encore bien longtemps enterrée sous la production
de masse que l'on nous vend à longueur d'écrans plats 2.
Que cela ne vous empêche pas
d'écouter et de découvrir que, derrière les envolées angoissantes
du saxophone de Peter Brötzmann et les martèlements des
cordes produits par Bill Laswell, c'est une pulsion de
vie qui se cogne la tête contre les barreaux de la cage.
1- Mais certes, il
existe un « art actuel » veule et marchand.
Rattachons-nous à cette citation d'Arnold
Schönberg : « My
music is not lovely ». Toutes
proportions gardées, Low Life
n'est pas « lovely » !
2- « I'm
buried deep in mass production » : pour
le coup, c'est une citation tirée de l'album
« The Idiot » qu'Iggy
Pop sortit en 1977, avec l'aide « massive »
de David Bowie...
Death Rattle : vos oreilles doivent servir à quelque chose !
Que faire quand un monolithe du
genre d'Iron Path arrive sur la platine ? Dans un
premier temps, on peut trouver le son de cet album relativement
propre (et produit ! Mais n'est-ce pas le métier de Bill
Laswell ?). Bon, en mettant le volume plus fort, on peut
se faire une idée de la bande de magnifiques sauvages auxquels on a
affaire ! Last exit ! Dernière sortie ?
Dernière chance de raccrocher les wagons au train de la liberté...
Le panorama apparaît clairement
lorsque l'aiguille du tourne-disque affronte « Lines
of fire » du LP Cassette Recordings !
L'improvisation prend toute la face A et après, on peut sereinement
reprendre l'écoute de l'autre album.
Trois vieux briscards du
jazz-free (Ronald Shannon Jackson, Sonny
Sharrock, Peter Brötzmann) associés au controversé (à
l'époque – années 80-90) producteur-bassiste Bill Laswell,
unis pour le meilleur et pour... proposer l'apocalypse murale,
torrentielle, asociale (pour certains !) de leur musique.
Déboulonnage de la tonalité, liberté du souffle, vibration sourde,
remixé... L'underground peut-il tout ? N'oublions pas Dolphy,
Coleman, Coltrane !
Le free (jazz) ne tirera jamais
sa révérence : le sax en liberté de P. Brötzmann,
la guitare impulsive de Sonny Sharrock, la basse
tellurique de Bill Laswell, et le magnifique jeu de
batterie de Ronald Shannon Jackson, captés dans leur
improvisation, jamais domptés, toujours là où on les attend le
moins, laissant l'auditeur pris au filet d'une transe inattendue, ne
nous quitterons plus.
Symptôme : dès que R.
Shannon Jackson attaque un rythme quelque peu « droit »,
les spectateurs manifestent, reprennent leur respiration, sifflent
leur admiration. Puis le maelström reprend, et, logiquement, tout
le monde est de nouveau collé au fauteuil !
Un blues venu du tréfonds des
amplis peut surgir nous apostropher (Line of Fire, Big Boss
Man). Des nappes de son peuvent nous envelopper et se
résoudre en interpellation dictée par une batterie foisonnante
(Prayer). Contrepied intéressant, le titre Iron
Path s’avère plus méditatif ! Les morceaux de
l'album Iron Path recèlent ainsi des trésors qu'il
faut aller dénicher (clameurs et pépiements d'oiseaux sur The
Fire Drum, qui par ailleurs se révèle être un blues
épais comme le limon d'un grand fleuve !). Cependant, je ne vous
détaillerai pas l'ensemble de l’œuvre... Car maintenant c'est à
vous d'effectuer un grand pas vers un univers libre ! Ouvrez vos
oreilles, laissez-vous gagner par l'exigence, rendez hommage au grand
guitariste qu'était Sonny Sharrock : écoutez Last Exit !
Un lien vers l'album Iron Path, mais les prestations scéniques
sont aussi à découvrir !
Et le troisième album, évoqué en juillet, direz-vous ? Bon, d'ici la fin du mois, vous verrez ce que peut la technique de Bill Laswell, alliée au saxophone vintage de Peter Brötzmann !
Nous nous poserons la question de savoir si l’underground peut tout.... Mais il faudra attendre quelques semaines ! Pour patienter, je peux vous dire qu'il sera question de ce groupe (deux albums) et d'une collaboration entre deux éléments de ce groupe (un troisième LP donc).
Trois vinyles dans une chronique ? La rentrée sera free !
En ces temps digitaux, la venue,
inattendue, d'une galette de vinyle, de couleur blanche de surcroit,
sur notre bonne vieille platine datant de 1978, constitue un
évènement en soi. Fatidique question, pour beaucoup : les
disques, c'était comment déjà ? 1
This Is
Thunder vient de sortir un E.P. (officiellement le 28 mai 2013) : d'ordinaire il est ici question de disques qui trainent depuis
longtemps sur mes rayonnages . Mais il est bon de sortir de ses habitudes quelquefois. II s'agit donc de la première production d'un
groupe actuel, composé de deux individualités aux parcours peu
banals, Nopse (pour notre hexagone) et Jen Schande ( pour
San Francisco -un pays en soi- ) : l'association des samples et de la
distorsion, pour user d'un raccourci, et pour un résultat n'ayant
rien à voir, à première écoute, avec les domaines de prédilection de chacun.
En effet, Nopse fait
plutôt dans le son trituré, mixé, malaxé et mis en rythme façon
noise/indus (mais cette description n'épuise pas le sujet) et Jen
Schande est de son côté fiancée aux guitares avec distorsion,
mais dotées d'une âme, comme sa biographie nous le prouve. 2
Dans This is Thunder,
arpèges et voix se mêlent agréablement (pour the Arc of the
Shot qui ouvre la face A), laissant une impression douce-amère,
bientôt laminée par le deuxième titre -Shoot the Moon-,
dans lequel la rythmique s'incarne en basse/batterie/guitare bien
saturée offrant une autoroute pour la voix de Jen Schande,
laquelle scande les mots d'une noirâtre comptine électrique, le
tout enrobé de diverses textures sonores, distorsion, échos, le
riff de base ne vous lâchant pas, jusqu'au refrain, ponctué
d'after-beats métronomiques, la voix de Nopse intervenant
enfin et... break ! Quelques notes et reprise du riff. En un peu
plus de trois minutes l'affaire est entendue : This is
Thunder a digéré pas mal d'influences -des années 90 et
d'avant- pour ériger ce wall of sound !
Mais le meilleur, pour moi, est à venir : Please
Find me en ouverture de la face B :
cette chanson dégage une atmosphère double, aérienne et délétère,
une odeur de terre après la pluie, un blues qui ne veut pas dire son
nom, mais qui pointe le bout de son nez quand même, dans le tapis de
distorsion mixé en fond, derrière la guitare acoustique... Même si
le thème récurrent distillé aux synthés voudrait nous faire
croire à la légèreté du temps qui passe... Humming,
le dernier titre du E.P., vient confirmer nos impressions :
l'atmosphère intimiste se révèle vénéneuse, la trouble fée du
Rock'n'roll est à coup sûr venue jeter ses sorts dans le coin !
3
Quand on sait que le E.P. de This is Thunder est né de rencontres en temps limité, d'idées mises au point sous contraintes géographiques et spatiales, on est séduit par le résultat, qui sait nous donner à la fois de l'espace et de la matière, là où auparavant il n'y avait que des esquisses.... Que
dire pour terminer ? Voilà un disque pour être émerveillé et rester lucide aussi. Avec
This is Thunder,
j'apprécie cette petite pointe de mélancolie qui n'exclut pas la
lumière, et nous attendons évidemment la suite !
Shoot the Moon
1 - En fait, pour être juste, Macario, corde
vocale des Stanley Kubi, m'a offert le 33t de son groupe en
2008, mais c'est une histoire dont je reparlerai, et c'était tout
pour ce début de 21e siècle. Et voilà que Nopse m'offre ce très beau 10" en vinyle blanc...
2 – Ainsi, Jen Schande a joué dans les groupes
suivants : Boyskoot, Shove, Schande. En 2012, elle a sorti un LP
titré « 19 / Songs for and inspired by Valencia chapter 19 ».
Elle officie également comme D.J. à « El Rio » San
Francisco. Il est permis, et conseillé, de prêter une oreille attentive à tout
ceci...
3 - Oui, je sais, les fées... Le Rock'n'roll... C'est en raison de la BD de Frank Margerin peut-être...
(…) L’idée d’évoquer notre désormais lointaine jeunesse m’est venue
tout d’abord à la lecture d’articles ou d’ouvrages commis par d’anciens punks
peroxydés, qui se présentaient comme de terribles activistes préparant la
révolution, du fond de leur squat, armés d’une boite à rythmes et d’une guitare
saturée. Puis à la vision de documentaires exsudant la testostérone et relatant
les faits d’armes des preux défenseurs de l’Occident, des intrépides antifas ou
des chasseurs de skins qui s’affrontèrent tout au long des années 1980. Je ne
me suis pas reconnu dans de tels récits. Bien sûr, tout cela a existé. L’essor
de ce qu’on a appelé le rock alternatif transformé des pans entiers de notre
belle jeunesse en petits agités, et les plus déterminés d’entre eux se sont
organisés pour contrecarrer l’hégémonie de skinheads fafs bien organisés eux
aussi et passablement brutaux. De grandes violences se produisirent et se
répétèrent. Sauf que la jeunesse qui emmerdait le Front national porte
aujourd’hui des lunettes Afflelou et que le FN n’a pas reculé d’un pouce, bien
au contraire.
Il me semble que ce qui fédérait réellement la plupart des garçons et
des filles que je côtoyais alors, c’était une identique volonté de retarder le
plus possible notre entrée dans le salariat, ou de l’oublier pour ceux qui
avaient eu la malchance de se laisser prendre, de n’en faire qu’une parenthèse,
certes longue, désagréable et chiante, d’une vraie vie qui se déroulait
ailleurs, dans la rue, les bars, les concerts ou devant un tourne-disque. Mettre
de la graisse dans ses cheveux, se réunir pour écouter ou jouer School Days de
Chuck Berry, refuser de courir après les nouveaux hochets que nous proposait
sans cesse le système et lui préférer nos vieux vinyles, c’était déjà une
position éminemment politique, pas besoin de paroles engagées. D’ailleurs,
aujourd’hui, les enregistrements des punks décolorés qui à l’époque méprisaient
ces « revivalistes » de rockers sont généralement ringards et
infatués, tandis que Gene Vincent ou Johnny Cash conservent toute leur
fraicheur et sont indémodables. Cet amour du rock’n’roll ainsi qu’un socle
scolaire commun minimal permettait à des jeunes de classes et d’origine
différentes de se côtoyer et de s’apprécier. J’ai constaté, il y a déjà plus de
quinze ans, qu’il est beaucoup plus difficile d’avoir un langage commun avec un
garçon qui joue à un jeu électronique dans lequel il bute des Allemands dans un
bunker, tout en ignorant si De Gaulle a vécu avant ou après Vercingétorix.
C’est pourquoi je considère, aujourd’hui, que lutter efficacement contre les
fascismes, c’est avant tout combattre l’ignorance. C’est un travail éducatif
quotidien et patient, plus que n’importe quelle posture belliqueuse, qui fera
reculer la bête immonde. (…)
Les rois du rock – Pelletier, Thierry – Éditions Libertalia
- extrait pp. 147-149
Voici
un groupe qui a créé un genre, avec les 28 titres de son premier
album : le « grindcore », ou la manière de
tronçonner, hacher menu, pulvériser, le son, les accords, la voix
et le rythme. De l'émincé auditif radical. Chaque être humain
devrait s'en écouter quelques micro-chapitres, en se levant le
matin, de façon à savoir pourquoi il va se battre dans la journée.
Cette cure n'est pas complexe à mettre en œuvre : les morceaux
de Napalm Death, à leurs débuts, durent en général
une trentaine de secondes. De l'acupuncture pour trompe d'Eustache.
Voir l'album « Scum » ou les Peel Sessions
pour ceci.
L'évolution
en la matière passe par le perfectionnement du son : par là,
il faut comprendre que les albums de Napalm Death
bénéficient désormais d'une production plus métal que punk :
mais les musiciens ne tombent pas pour autant dans une facilité qui
dessert souvent les produits du genre. Les successions de riffs
s'agencent, ne se répètent pas toujours, évitent les alternances
classiques couplet-refrain-couplet, s'autorisent des digressions,
veulent l'intelligence, plutôt que la radicalité vaine.
Les
textes sont ciselés : très rarement y apparaissent les « four
letter words » par lesquels le rock scandalise le
réactionnaire(1). Napalm Death essaye de
trouver les mégatonnes langagières dans les recoins de l'idiome. Un
exemple d'une de leurs dernières interventions aurales : "...procrastination on the empty vessel / Toil to the bone so the
machines roll on / Is this vague assumption / That a call to a halt
will signal our untimely end ? / To labor so rigidly / All the safe
havens of natural beauty (…)"(2). Ne nous sommes plus
sur le bateau ivre de Rimbaud, mais dans les tourments de la réalité
d'une société folle à lier. Nous sommes attachés à cette
dernière, nous somme une pièce jointe ; faisant partie de ;
concourant à.
Le
maxi 6 titres Mentally Murdered (sorti
en 1989 sur Earache Records)est assez remarquable, quoique clairement métal, lorgnant
vers le Death !(3)
Napalm Death y comprend encore trois membres
quasi-historiques : Bill Steer à la guitare (parti dans
Carcass) ; Lee Dorrian à la suffocation laryngale
(parti fonder Cathedral) ; Mick Harris à la
batterie (un des fondateurs de Napalm Death, qui créa
Scorn -ambient glauque, et entre autres, participa à certains
albums du saxophoniste d'avant-garde John Zorn
– à ce sujet on peut penser à Painkiller) et Shane
Embury, basse (toujours dans la formation actuelle).
Je
vous rassure, les six morceaux de Mentally Murdered dépassent
les trente secondes et sont envoyés avec maestria et sont
techniquement sans faille. On peut légitimement être heureux que
Napalm Death ait aussi
su dépasser ce stade, pour actuellement nous proposer de nouveaux
défis, de nouvelles rages, comme sur Utilitarian
(2012), leur dernier opus à ce jour !
Et,
si je peux me permettre un conseil, Mentally Murdered se
doit d’êtreécouté
en vinyl : CD ou autres formats numériques sont nettement moins
« chauds » et tournent au grésillement mixé dans les
médiums...
1-
Si l'on excepte bien sûr leur reprise de « Nazi punks fuck
off ! » des Dead Kennedys.
2-
Paroles extraite de
« Procrastination
on the empty vessel »,
album « Time waits
for no slave », 2009.
Décernerons-nous un label éducatif à Napalm Death ? Le
problème, mis en évidence par le sociologue F. Dubet ( in
« les lycéens » Seuil, 1991 )
est que la culture « de l'extérieur de l'école », dès
qu'elle est admise à l'intérieur du système éducatif, ne
passionnera certainement pas ceux qui y transitent !
3-
Sur le dos de la pochette, ils sont deux à arborer le T-shirt de
Morbid Angel, une manière de référence, une manière de
révérence...
Sources :
Dictionnaire du rock (SLD M. Assayas) / Vu le groupe en live ! /
Et leurs albums moult fois écoutés !
Mangez
des salades ! En 1985 sort le dernier 45t de Minor Threat.
Minor
Threat,le
groupe de Washington D.C. qui, avec ses morceaux « Straight
edge » et « Out of step »
remit en vigueur la règle de Saint Benoit chez quelques
punks-hardcore américains, option qui fit florès également sous
nos latitudes, nous gratifie ici d'un brûlot partant d'une intro en
harmoniques et basculant ensuite dans un excellent rythme enlevé,
et un hardcore mélodique des familles, lequel mérite de figurer
parmi les meilleurs hymnes punks des années 80, rien que ça, si,
si!
Brian
Baker mouline les notes à la basse, Jeff Nelson hache le temps, Tom
Lyle envoie les flèches distordues et Ian Mc Kaye s'occupe de la
corde vocale : « Salad days » 1!
Le texte de la chanson ? Un peu d'ironie, un peu de moquerie,
sur le fait de grandir (ce qui est assez compliqué dans le monde du
rock). Trois titres sur ce EP, enregistré en 1983 : en plus de
Salad days, on trouvera un morceau mid-tempo
« Stumped », assez anecdotique, ainsi qu'une bonne
reprise des Standells (Sometimes good guys don't wear
white).
Entre
1979 et 1983, ils ont grandi ! Ils ont acquis une conscience,
fondant leur label, Dischord Records, organisant leur
distribution, gardant une honnêteté foncière, par rapport à
l'affairisme du monde musical, promouvant végétarisme et action
politique... Pour Ian Mc Kaye,
les fées se sont concertées au-dessus du berceau... Et par
ailleurs, Brian Baker officie dans Bad Religion et Dag
Nasty, groupes également
fondateurs !
Cela
fait plus de trente ans que le label Dischord
fait exception dans l'univers impitoyable des labels de disques,
distribuant tranquillement, simplement, le rock hardcore et
expérimental de Washington D.C.
et ses environs. Jeter un coup d’œil sur leur catalogue, via leur
site, est roboratif : pas de visuels outranciers, de marketing
fumeux, d'emphase pourtant typique dans le milieu.
Trois harmoniques jouées à la
basse, et c'est le frisson : la musique de l'instant, un instant
qui vous correspond, se grave dans un pur vinyl noir, et ne vous
lâchera plus !
1 - Your
"Salad days"
are the period in your life when you are young and inexperienced (in
Collins Cobuild english language
dictionary)
Trois potes de San Pedro (Cal. ; U.S.A.) :
D. Boon (guitare, chant), Mike Watt (basse, chant),
George Hurley (batterie). D'abord le nom. The
Minutemen : se voulant fidèles au groupe anglais
Wire(1), ils composaient, lors de
leurs débuts, des chansons dépassant rarement la minute.
Mais cette référence au punk
arty des britanniques n'était pas leur seul bagage. Alors que
beaucoup des groupes de Los Angeles et Hollywood apprenaient sur le
tas leurs accords définitifs, destinés à river son clou au vieux
monde, les trois Minutemen, savaient jouer, et
colportaient aussi de bien belles références au passé (que les
jeunes punks pouvaient qualifier de dinosauresques, à
savoir : Creedence Clearwater Revival, Fleetwood Mac, Blue
Oyster Cult, entre autres).
Cependant, au contact de Black
Flag, les excités novateurs, rebelles et infréquentables de
L.A., ils comprennent vite que les années 70 sont terminées, et
qu'il est temps de passer à autre chose. Ayant saisi l'idiome punk
au vol, ils conçoivent leur musique non comme une une redite, mais
plutôt comme une potion rock éclectique, à base de rythmique
efficace et mercenaire, et de guitare incisive, hachant ses accords
funk/punk, doublés de soli, sur lesquels on ne crache plus.
Se rajoutent à la texture
sonore des paroles faisant preuve d'une conscience socio-politique qui
dépasse les problèmes de la pré-adolescence, souvent chantés par
D. Boon, en un mélange de rage et de vulnérabilité. On
obtient ainsi une antithèse de la musique punk, que les Minutemen
joueront pour les punks ! L'osmose se fait chez SST, le label de
Black Flag. Les Minutemen y publieront pas moins
de 4 albums, et 7 EP, sans compter les participations de rigueur à
diverses compilations et une collaboration avec Black Flag
(Minuteflag (2) ).
Double Nickels on the
Dime : le double album où le talent des Minutemen
est exposé, détaillé, gravé, en 45 chansons et autres
coquecigrues, demeure une œuvre majeure des années 80. On peut y
puiser, en fonction de l'humeur du moment, ce que l'on souhaite comme
animation musicale pour ses neurones : l'absurdité journalière,
la pesanteur sociale, l'humour, l'introspection, l'Histoire des
États-Unis, la protestation libertaire... D'ailleurs, c'est cette
dernière qui retint mon attention, il y a bien longtemps désormais,
quand D. Boon, le chanteur/guitariste déclamait sur la
chanson « Shit from an old Notebook » : «Let the products sell
themselves, fuck advertising and commercial psychology (…) ».
Ironie de l'histoire : D.
Boon a perdu la vie le 24 décembre 1985, dans un accident de
voiture, alors que le titre du double album faisait référence à
une vitesse limite sur autoroute... (3) Autre ironie, mais
ça arrive dans le monde du rock : le titre « Corona »
servira de thème à la série de télé-réalité américaine
« Jackass », un genre de production à mille
lieues de l'éthique des Minutemen, on s'en doute !
1 –Wire, qui
dans son premier album « Pink
Flag », avait
aligné 21 morceaux, dont le remarquable « Field
Day for the Sundays »
que je me rappelle avoir chronométré à 27 secondes ! L'influence
de Wire
vaut pour les morceaux courts. Après, pour le côté funk nerveux
et transistorisé, doublé de paroles ancrées dans le réel, on peut
penser à des groupes tels que : Pop
Group,Gang
of Four, Scritti Politti
et autres fleurons de la New Wave anglaise.
2 – Il
avait été décidé que ce E.P. sortirai lorsqu'au moins l'un des
deux groupes se serait dissous. Étrange, non ?
3 – Ce
n'était pas lui qui conduisait... Les circonstances de l'accident
n'avaient rien à voir avec la vitesse. Sa disparition signera aussi
la désagrégation du label SST, concrétisée par le départ des
Hüsker Dü
vers une major du disque et la dissolution de Black
Flag. Les Minutemen
seraient certainement devenus importants dans le paysage musical,
sans les limiter au punk-hardcore d'ailleurs. Le bassiste Mike
Watt poursuit depuis
une trajectoire en solo, ou en association avec d'autres musiciens.
Il est resté cohérent avec l'esprit des Minutemen
et perpétue le souvenir de son ami D.
Boon.
Sources :
American
hardcore, a tribal history
– S. Blush (Feral House 2001) ; la page Wikipedia
(en anglais) sur les Minutemen
(correctement sourcée) ; Dictionnaire
du rock - Sous
la direction de M.
Assayas
(R. Laffont – 2000)
Vous n'y échapperez pas ! Voici Corona, le titre le plus
connu des Minutemen, à leur corps défendant en quelque
sorte : mais cette vidéo permet de voir la dextérité de D. Boon
à la guitare, la cohérence de la rythmique de Mike Watt et
George Hurley. Un vrai moment d'émotion : ils étaient grands et
pourtant simples ! Il n'est pas trop tard pour les apprécier !
Et puis "The glory of man" archétype du punk-funk
et archétypal du groupe : dansez, maintenant !
R.I.P. D. Boon
vendredi 1 mars 2013
Kicks
Joy Darkness - Plaisir, joie, noirceur... Kerouac
Exception
à la théorie de vinyles dont je vous ai entretenu au fil des mois :
voici un disque compact, sorti en 1997, dans cette fin de XXe
siècle où ce genre d'objet semblait avoir quelque avenir. (1)
Il s'agit d'un spoken word & music album dans lequel une
flopée d'artistes (et pas uniquement des musiciens !) rendent un
hommage à Jack Kerouac. 1957-1997 : les quarante ans de la
sortie du mondialement célèbre « On the road ».
Mais
de « Sur la route », il n'est point question ici. Le
format est celui du poème, du texte déclamé ou susurré. Pas
beaucoup de rock, même si on note la présence de Steven
Tyler (Aerosmith), Joe Strummer (Clash et
autres -et
pour sa part, il a le privilège de poser quelques accords sur la
voix enregistrée de Kerouac !), Patti Smith, Lenny
Kaye,Thurston Moore, Lee Ranaldo, Mark Sandman
(Morphine), Jeff
Buckley, Eddie Vedder, John Cale, Warren Zevon et
Johnny Depp... Effectivement, il faut faire avec : Kerouac
et le rock, ça fait deux. Donc, cette distribution prend ses
distances avec son idiome habituel...
Sa
musique, c'était le jazz, et on comprend, si l'on a quelque
attention pour l'histoire du Rock'n'Roll, que
ce dernier ait été perçu par lui comme une tocade sans grand
intérêt, un bref engouement d'une partie de la jeunesse américaine,
un courant musical vite transformé en machine à dollar pour
auditeurs formatés et consentants. (2)
Pour
parler rock, il est évident que le morceau « Skid
row wine » est celui qui
dépote le plus dans cet album : la voix trainante de Maggie
Estep injecte le blues intégral,
la pesanteur de l'existence qui a toujours imprégné Kerouac, (3) sousla peau de l'auditeur. La musique est rude, parsemée d'éclats
tranchants, la saturation plaintive, titubante, glissante comme la
chaussée pour l'ivrogne... Le riff pleure et... Bon, Kerouac
n'aurait pas aimé ça. Mais peu importe, il n'aimait pas avoir le
rôle de directeur de conscience.
Que
retenir de Kicks Joy Darkness ?
Une belle collection de textes, peu connus, voire inédits (America's new
trinity of love : Dean, Brando, Presley où
il est question plutôt des deux premiers que du dernier
d'ailleurs...),des
poèmes qui sortent de l'ordinaire, et des voix de contemporains de
Kerouac (Ginsberg, Ferlinghetti, Burroughs),
des voix de fantômes aussi (Hunter S. Thompson totalement
foutraque, stentor nourri au mélange cigarette/whisky, sans compter
le reste !), des notes de musique, certes, du folk, du blues, de
l'ambiance sonique (le torrent électrique d'Inger
Lorre)...
Une atmosphère qui oscille suivant la trinité du titre :
morsure du plaisir, illumination de la joie, et grands aplats de
noirceur...
Bon.
Il est temps de boire un coup. « Sittin
and drinkin wine / And in railyards being divine »
Jack Kerouac – tiré de « Pomes
all size »
...and in railyards being divine !
1
- Les entreprises du disque s'étaient débarrassées du
vinyl comme d'une séquelle du passé. Mais leur rond de plastique
substitutif a subi une Bérézina sans nom, dans leur acharnement
gestionnaire à ne pas voir le numérique saper leur rente, laquelle,
pensaient-ils, était censée durer aussi longtemps que l'âge
Jurassique (au moins !). Tout le monde peut assister aux contorsions
pathétiques de ces mastodontes qui déplorent l'agonie de leur poule
aux œufs d'or. Rappelons que ces sociétés philanthropiques ont
allègrement entubés tous les amateurs de musique, parant le disque
compact de toutes les vertus (augmentation du temps de stockage,
inaltérabilité, pureté du son...) alors qu'ils tapaient dans
leurs catalogues, sans investir un centime, ressortant des œuvres
sans les remixer, s'abstenant d'offrir quoi que ce soit de plus, tant
au point de vue des pochettes que des morceaux additionnels, le tout
à un prix soigneusement étudié pour tondre au maximum le
consommateur, presque sommé de refaire toute sa discothèque, afin
de passer du ténébreux âge du disque noir à celui du disque
novateur. Quelle blague ! L'intérêt des artistes ? Autre
blague ! Tout le monde peut trouver maintenant les chiffres dans
le labyrinthe réticulaire : les ventes de disques ne profitent
qu'aux entreprises discographiques !
2
- Les jeunes s'investissent et investissent dans un mode
d'expression, lequel est récupéré par l'industrie, qui formate la
rébellion en retour, sous forme d'items commercialisables.
L'industrie ? Pas besoin de transnationales de nos jours :
un individu suffisamment âpre au gain suffira. Comme disait l'autre,
puisque la société te met en demeure de devenir ton propre patron,
ton efficient auto-gestionnaire, on récupère désormais à tous
les niveaux : pourquoi diable ne laisse-t-on pas les
« produits » se vendre tous seuls ? On y reviendra
dans un prochain texte, où il sera question du groupe américain
« The Minutemen ».
3
– Quand on lit « Les anges vagabonds »
-Desolation angels- on
est loin de la béatitude de « Sur la route ». Lorsque
Jack Kerouac perçoit les limites du bouddhisme.
Je vous laisse avec l'interprétation de "Skid Row Wine"
Ayant déjà dit tout le bien
que je pense de l'opus du Géant Vert -post précédent- je
n'insisterai pas sur la chronique qu'il rédige sur le premier 45
tours des Dead Kennedys(California über
alles), ce groupe « essentiel et scandaleux » (1)dont la carrière s'échelonna de 1978 à 1986, en 4 albums, plus
une flopée d'autres galettes.
Car d'un autre rond de vinyl il
sera ici question : celui dans lequel, faisant foin de ses
tendances politiques et idéologiques, Jello Biafra, le
légendaire chanteur des Dead Kennedys se penchera sur
un problème plutôt terre-à-terre ! Je veux bien sûr parler
du 45t « Too drunk to fuck ».
Bon, s'il faut résumer le
propos du titre, c'est « la déchéance alcoolisée d'un fêtard
lambda, dont l'imprégnation le conduit à une flaccidité qui
n'exclut aucunement les comportements erratiques en société »,
itinéraire passé au vitriol des lyrics de Biafra,
avec un riff de guitare totalement rock'n'roll garage et halluciné
(2) : une écoute et c'est l'addiction
instantanée.
Du grand art donc, comme les
DK savaient le faire en cette haute époque, avec l'aide de
Geza X à la production. Ce qui nous donne un mixage
« touffu » dans lequel on note de subtiles traces de
clavier et en définitive, ce son qui symbolise pour moi l'année
1981, et qui constituera une base pour la texture sonore de l'album
Plastic surgery disasters (1982), (bien que pour cette fois le
producteur soit Thom Wilson).
Et si je me souviens bien,
j'avais trouvé ce 45 tours à la Fnac des Halles, qui
ressemblait alors à un antre de science-fiction à la moquette
grise et usée, où différent éléments sonores se percutaient de
rayons à rayons, où le plafond ne celait point ses tuyaux de
ventilation et autre branchements électriques. Mettez là-dessus un
bon éclairage au néon... Car la lumière du jour était bannie de
cet endroit ! Rajoutez l'embouteillage de piétons... Les Halles,
c'était l'apocalypse post-nucléaire à portée de métro ! 100
% punk !
1 - Qualificatifs
entendus sur France Culture, peut-être vers 1982, dans une émission
( Nuits magnétiques ?
) qui parlait de la Côte Ouest des États-Unis
(Dead Kennedys, Target Video... ). Peut-être retrouverai-je des
traces de ceci sur un coin de K7...
2
- Mais en fait ce riff n'est pas si aisé que ça à jouer :
notes détachées et bien précises, notes étouffées, accords,
démanchés... Ils ont dû s'amuser à mettre le morceau en place !
Le petit livre que je présente
ci-après propose 80 chroniques, papiers, présentations, pensez au
terme que vous souhaitez, de 45 tours liés à l'effervescence punk,
qui secoua, si vous ne le saviez déjà, les puces du monde
occidental vers la fin des années soixante-dix.
« Blitzkrieg –
Histoire du punk en 45 tours » de Géant Vert
chez Hoëbeke est le compagnon qu'il vous faut pour l'année
2013. A raison de la lecture d'un article par tranche de quatre jours
et demi, votre lecture durera bien 365 jours, et pour les
boulimiques, ça durera une semaine, voire moins.
Dès l'introduction, nous sommes
plongés dans l'atmosphère délétère de la fin des seventies.
Ce qui me fait aimer ce bouquin, c'est déjà des phrases bien
senties par rapport à l'esthétique des carrosseries de voitures
françaises. Je me réfère à la télé : les seules vraies
voitures se trouvaient dans les feuilletons british ou américains,
et les pilotes c'étaient Starsky & Hutch, Brett
Sinclair & Danny Wilde, ou les débiles de Hazzard...
La crise était là et les
immeubles s'éteignaient le soir, et l'essence était plus vitale que
la choucroute à Strasbourg ! Le rock était plus qu'encroûté
(je vous passe le couplet sur les titres qui durent des plombes où
l'ennui atteint des sommets qu'aucun remonte-pente digne de ce nom ne
permet d'approcher). Quand au pattes d'éph' et aux cols roulé en
synthétique... « Quand je sens une odeur de patchouli, je
remplis mon chargeur. » (proverbe New Wave).
Je crois discerner dans la
parole de Géant Vert la tendance que nous avions à
extrapoler, voire amplifier et illuminer la moindre bribe
d'information que l'on pouvait grappiller sur les groupes, tendances,
disques, qui devenaient du jour au lendemain notre raison de vivre.
Actuellement, c'est pour cela que j'apprécie Internet : si on
cherche, on trouve... On vérifie aussi. Mais dans ces temps là, le
fantasme allait bon train : un entrefilet, une notule, une
dépêche, dans n'importe quel journal ou magazine, et on faisait nos
délices de peu !
Lecture de bon aloi donc, pour
qui veut se plonger dans les biographies des punks et associés, sur
la période 1976-1979. Terminons avec deux petites choses.
Une remarque, à propos de
l'émission « juke-box » de Freddy Hausser :
il me semble que c'est fin 77 qu'elle se termina sur les tubes
cathodiques d'Antenne 2 (et non pas en 1978), avec une série de
vidéos consacrées aux groupes punks et quelques prise de vues de
jeunes punks de l'époque... Je me souviens d'une phrase du genre :
« Les punks ont le plus grand respect pour leur
coiffeur... » . Je ne me souviens pas si la diffusion
d'extraits de concerts du Festival de Mont-de-Marsan a eu lieu avant
ou après cette émission, mais ça aussi ce fut magnifique !
Une photo, avec la couv' du
bouquin, une relique : le sac en plastique du (fameux) magasin
de disque « Music Box » dans lequel une vendeuse, qui
ressemblait à la bassiste des Adverts (je ne peux le garantir !), plaça le 45 tours d'Asphalt
Jungle que je venais d'acquérir (avec mes billets de 10 F. Richelieu
certainement!). Ça devait être en 1978...