dimanche 30 juin 2013

This is Thunder - Et le tonnerre fit vibrer l'onde vinylique...

En ces temps digitaux, la venue, inattendue, d'une galette de vinyle, de couleur blanche de surcroit, sur notre bonne vieille platine datant de 1978, constitue un évènement en soi. Fatidique question, pour beaucoup : les disques, c'était comment déjà ? 1


This Is Thunder vient de sortir un E.P. (officiellement le 28 mai 2013) : d'ordinaire il est ici question de disques qui trainent depuis longtemps sur mes rayonnages . Mais il est bon de sortir de ses habitudes quelquefois. II s'agit donc de la première production d'un groupe actuel, composé de deux individualités aux parcours peu banals, Nopse (pour notre hexagone) et Jen Schande ( pour San Francisco -un pays en soi- ) : l'association des samples et de la distorsion, pour user d'un raccourci, et pour un résultat n'ayant rien à voir, à première écoute, avec les domaines de prédilection de chacun.

En effet, Nopse fait plutôt dans le son trituré, mixé, malaxé et mis en rythme façon noise/indus (mais cette description n'épuise pas le sujet) et Jen Schande est de son côté fiancée aux guitares avec distorsion, mais dotées d'une âme, comme sa biographie nous le prouve. 2
 
Dans This is Thunder, arpèges et voix se mêlent agréablement (pour the Arc of the Shot qui ouvre la face A), laissant une impression douce-amère, bientôt laminée par le deuxième titre -Shoot the Moon-, dans lequel la rythmique s'incarne en basse/batterie/guitare bien saturée offrant une autoroute pour la voix de Jen Schande, laquelle scande les mots d'une noirâtre comptine électrique, le tout enrobé de diverses textures sonores, distorsion, échos, le riff de base ne vous lâchant pas, jusqu'au refrain, ponctué d'after-beats métronomiques, la voix de Nopse intervenant enfin et... break ! Quelques notes et reprise du riff. En un peu plus de trois minutes l'affaire est entendue : This is Thunder a digéré pas mal d'influences -des années 90 et d'avant- pour ériger ce wall of sound !

Mais le meilleur, pour moi, est à venir : Please Find me en ouverture de la face B : cette chanson dégage une atmosphère double, aérienne et délétère, une odeur de terre après la pluie, un blues qui ne veut pas dire son nom, mais qui pointe le bout de son nez quand même, dans le tapis de distorsion mixé en fond, derrière la guitare acoustique... Même si le thème récurrent distillé aux synthés voudrait nous faire croire à la légèreté du temps qui passe... Humming, le dernier titre du E.P., vient confirmer nos impressions : l'atmosphère intimiste se révèle vénéneuse, la trouble fée du Rock'n'roll est à coup sûr venue jeter ses sorts dans le coin ! 3


Quand on sait que le E.P. de This is Thunder est né de rencontres en temps limité, d'idées mises au point sous contraintes géographiques et spatiales, on est séduit par le résultat, qui sait nous donner à la fois de l'espace et de la matière, là où auparavant il n'y avait que des esquisses.... Que dire pour terminer ? Voilà un disque pour être émerveillé et rester lucide aussi. Avec This is Thunder, j'apprécie cette petite pointe de mélancolie qui n'exclut pas la lumière, et nous attendons évidemment la suite !


Shoot the Moon

1 - En fait, pour être juste, Macario, corde vocale des Stanley Kubi, m'a offert le 33t de son groupe en 2008, mais c'est une histoire dont je reparlerai, et c'était tout pour ce début de 21e siècle. Et voilà que Nopse m'offre ce très beau 10" en vinyle blanc...

2 – Ainsi, Jen Schande a joué dans les groupes suivants : Boyskoot, Shove, Schande. En 2012, elle a sorti un LP titré « 19 / Songs for and inspired by Valencia chapter 19 ». Elle officie également comme D.J. à « El Rio » San Francisco. Il est permis, et conseillé,  de prêter une oreille attentive à tout ceci...

3 - Oui, je sais, les fées... Le Rock'n'roll... C'est en raison de la BD de Frank Margerin peut-être...

dimanche 23 juin 2013

Les rois du Rock






(…) L’idée d’évoquer notre désormais lointaine jeunesse m’est venue tout d’abord à la lecture d’articles ou d’ouvrages commis par d’anciens punks peroxydés, qui se présentaient comme de terribles activistes préparant la révolution, du fond de leur squat, armés d’une boite à rythmes et d’une guitare saturée. Puis à la vision de documentaires exsudant la testostérone et relatant les faits d’armes des preux défenseurs de l’Occident, des intrépides antifas ou des chasseurs de skins qui s’affrontèrent tout au long des années 1980. Je ne me suis pas reconnu dans de tels récits. Bien sûr, tout cela a existé. L’essor de ce qu’on a appelé le rock alternatif transformé des pans entiers de notre belle jeunesse en petits agités, et les plus déterminés d’entre eux se sont organisés pour contrecarrer l’hégémonie de skinheads fafs bien organisés eux aussi et passablement brutaux. De grandes violences se produisirent et se répétèrent. Sauf que la jeunesse qui emmerdait le Front national porte aujourd’hui des lunettes Afflelou et que le FN n’a pas reculé d’un pouce, bien au contraire.

Il me semble que ce qui fédérait réellement la plupart des garçons et des filles que je côtoyais alors, c’était une identique volonté de retarder le plus possible notre entrée dans le salariat, ou de l’oublier pour ceux qui avaient eu la malchance de se laisser prendre, de n’en faire qu’une parenthèse, certes longue, désagréable et chiante, d’une vraie vie qui se déroulait ailleurs, dans la rue, les bars, les concerts ou devant un tourne-disque. Mettre de la graisse dans ses cheveux, se réunir pour écouter ou jouer School Days de Chuck Berry, refuser de courir après les nouveaux hochets que nous proposait sans cesse le système et lui préférer nos vieux vinyles, c’était déjà une position éminemment politique, pas besoin de paroles engagées. D’ailleurs, aujourd’hui, les enregistrements des punks décolorés qui à l’époque méprisaient ces « revivalistes » de rockers sont généralement ringards et infatués, tandis que Gene Vincent ou Johnny Cash conservent toute leur fraicheur et sont indémodables. Cet amour du rock’n’roll ainsi qu’un socle scolaire commun minimal permettait à des jeunes de classes et d’origine différentes de se côtoyer et de s’apprécier. J’ai constaté, il y a déjà plus de quinze ans, qu’il est beaucoup plus difficile d’avoir un langage commun avec un garçon qui joue à un jeu électronique dans lequel il bute des Allemands dans un bunker, tout en ignorant si De Gaulle a vécu avant ou après Vercingétorix. C’est pourquoi je considère, aujourd’hui, que lutter efficacement contre les fascismes, c’est avant tout combattre l’ignorance. C’est un travail éducatif quotidien et patient, plus que n’importe quelle posture belliqueuse, qui fera reculer la bête immonde. (…)

Les rois du rock – Pelletier, Thierry – Éditions Libertalia - extrait pp. 147-149

samedi 1 juin 2013

Napalm Death : experts en solution auditive


Voici un groupe qui a créé un genre, avec les 28 titres de son premier album : le « grindcore », ou la manière de tronçonner, hacher menu, pulvériser, le son, les accords, la voix et le rythme. De l'émincé auditif radical. Chaque être humain devrait s'en écouter quelques micro-chapitres, en se levant le matin, de façon à savoir pourquoi il va se battre dans la journée. Cette cure n'est pas complexe à mettre en œuvre : les morceaux de Napalm Death, à leurs débuts, durent en général une trentaine de secondes. De l'acupuncture pour trompe d'Eustache. Voir l'album « Scum » ou les Peel Sessions pour ceci.

 
L'évolution en la matière passe par le perfectionnement du son : par là, il faut comprendre que les albums de Napalm Death bénéficient désormais d'une production plus métal que punk : mais les musiciens ne tombent pas pour autant dans une facilité qui dessert souvent les produits du genre. Les successions de riffs s'agencent, ne se répètent pas toujours, évitent les alternances classiques couplet-refrain-couplet, s'autorisent des digressions, veulent l'intelligence, plutôt que la radicalité vaine.

Les textes sont ciselés : très rarement y apparaissent les « four letter words » par lesquels le rock scandalise le réactionnaire(1). Napalm Death essaye de trouver les mégatonnes langagières dans les recoins de l'idiome. Un exemple d'une de leurs dernières interventions aurales : "...procrastination on the empty vessel / Toil to the bone so the machines roll on / Is this vague assumption / That a call to a halt will signal our untimely end ? / To labor so rigidly / All the safe havens of natural beauty (…)"(2). Ne nous sommes plus sur le bateau ivre de Rimbaud, mais dans les tourments de la réalité d'une société folle à lier. Nous sommes attachés à cette dernière, nous somme une pièce jointe ; faisant partie de ; concourant à.
 
Le maxi 6 titres Mentally Murdered (sorti en 1989 sur Earache Records) est assez remarquable, quoique clairement métal, lorgnant vers le Death !(3) 

Napalm Death y comprend encore trois membres quasi-historiques : Bill Steer à la guitare (parti dans Carcass) ; Lee Dorrian à la suffocation laryngale (parti fonder Cathedral) ; Mick Harris à la batterie (un des fondateurs de Napalm Death, qui créa Scorn -ambient glauque, et entre autres, participa à certains albums du saxophoniste d'avant-garde John Zorn – à ce sujet on peut penser à Painkiller) et Shane Embury, basse (toujours dans la formation actuelle).

Je vous rassure, les six morceaux de Mentally Murdered dépassent les trente secondes et sont envoyés avec maestria et sont techniquement sans faille. On peut légitimement être heureux que Napalm Death ait aussi su dépasser ce stade, pour actuellement nous proposer de nouveaux défis, de nouvelles rages, comme sur Utilitarian (2012), leur dernier opus à ce jour !

Et, si je peux me permettre un conseil, Mentally Murdered se doit d’être écouté en vinyl : CD ou autres formats numériques sont nettement moins « chauds » et tournent au grésillement mixé dans les médiums...

1- Si l'on excepte bien sûr leur reprise de « Nazi punks fuck off ! » des Dead Kennedys.

2- Paroles extraite de « Procrastination on the empty vessel », album « Time waits for no slave », 2009. Décernerons-nous un label éducatif à Napalm Death ? Le problème, mis en évidence par le sociologue F. Dubet ( in « les lycéens » Seuil, 1991 ) est que la culture « de l'extérieur de l'école », dès qu'elle est admise à l'intérieur du système éducatif, ne passionnera certainement pas ceux qui y transitent !

3- Sur le dos de la pochette, ils sont deux à arborer le T-shirt de Morbid Angel, une manière de référence, une manière de révérence...

Sources : Dictionnaire du rock (SLD M. Assayas) / Vu le groupe en live ! / Et leurs albums moult fois écoutés ! 


Rise above - Morceau 1 de la face A du maxi 12"