mercredi 30 novembre 2011

jeudi 24 novembre 2011

Pere Ubu – La dérive sur une quatre voies

En 1978, j'ai commencé à développer ma passion pour le vinyl et les musiques adverses, de celles qui ne vantent pas les fleurs et les petits oiseaux, sinon dans la veine de Chaval... Et si les premières galettes furent les LP des Clash et des Pistols, j'y adjoignis presque aussitôt le « Young, Loud & Snotty » des Dead Boys et « The Modern Dance » de qui vous savez. Et Richard Hell et ses Voidoids. Bon sang, quel sélection !

L'été même, je décorai au pochoir un T-shirt d'un lettrage Pere Ubu déconstruit, visible sur le verso de la pochette de l'album. A l'époque j'ignorai tellement de choses musicalement parlant : je n'avais aucune conscience de ce qui précédait Pere Ubu, le free  jazz, Beefheart, et Brian Wilson, et même la première incarnation du groupe : Rocket from the Tombs (le genre de nom que vous hésitez à prononcez chez votre belle-mère quand elle vous demande dans quel groupe vous jouez). Et puis les médias n'étaient ni nombreux, ni prolixes par rapport aux évolutions musicales en cours (c'est peu dire !).1

J'étais une page blanche, avec en plus cette envie de tabula rasa qui sied tellement à la jeunesse. The Modern Dance, c'était un truc nouveau, totalement punk, mais autant éloigné de l'Angleterre que la Croix du Sud des cieux septentrionaux ! J'ai immédiatement signé le pacte des non-alignés. A défaut de signer celui des non-aliénés...

Souvenez-vous de cette époque : quelques radios « périphériques » (que cela sonne antédiluvien de nos jours), 3 chaines de télé. Ça ne s'appelle pas le PAF. Nous ne sommes pas dans le pays du rock, mais un type sur France Inter programme Pere Ubu, parce qu'il a sa petite fenêtre, avant l'émission du Pop Club (de José Artur) et que lui, au moins, s'intéresse à ce qui se passe, souvenez-vous, vous dis-je, car il s'agit de Bernard Lenoir, que France Inter a mis de côté en cette belle rentrée 2011. J'ai déjà précisé qu'on ne vit pas dans le pays du rock. Grâce lui soit rendue : il a envoyé Street Waves dans le poste, je fus transfiguré par la voix de David Thomas et le déluge sonore balancé par ses acolytes !

L'ambiance industrielle, l'impression de déshérence, les brusques montées d'adrénaline, les collages sonores, j'écoutais la bande-son parfaite pour Je suis une légende de R. Matheson ! Real World, Laughing, Over my Head, Sentimental Journey, du papier abrasif pour dégrossir ses idées noires. Et du rock pour secouer les murs : le fabuleux Non Alignment Pact, suivi de The Modern Dance, la hargne de Life Stinks ! Enfin, il ne faut pas oublier la dérision, portée par David Thomas et le nom de Pere Ubu : It's just a joke est la phrase qui revient souvent dans Humour Me, chanson qui ferme l'album et les Radiations Chinoises nous paraissent bien décalées : « Il sera le Garde rouge, elle agitera son Livre... ». Révolution culturelle : écoutez maintenant et toujours Pere Ubu. Et n'oubliez pas Alfred Jarry, sans lequel rien de ceci n'aurait été possible ! Et d'ailleurs, renseignez-vous : David Thomas a incarné Père Ubu dans une pièce de théâtre en 2008 : il en est sorti un disque original et décapant !

1- Des années après, une plongée dans une vieille collection de Rock & Folk, me permettra de lire un témoignage relatif à Pere Ubu, vers 1975-1976... David Thomas (Crocus Behemoth à l'époque) y parlait de four lane drifting ou comment passer de la voie de gauche à la voie de droite du périphérique de Cleveland sans trop de casse ! J'y pense à chaque fois que je mets mon clignotant !

Sources : Le Monde (1978-1980) chroniques d'A. Wais (il chroniqua les premiers concerts parisiens de Pere Ubu au Gibus et au Bataclan) - Dictionnaire du Rock (sous la direction de M. Assayas) – Bernard Lenoir (sa fenêtre musicale dans le Pop Club sur France Inter précéda la création de l'émission Feedback (1978), qu'il devait conduire durant de nombreuses années) – Rock & Folk 1975-1976)

dimanche 20 novembre 2011

En prélude à une chronique ubuesque...

David Thomas, chanteur du légendaire groupe Pere Ubu, a incarné Père Ubu dans une pièce de théâtre, adaptée d'Ubu Roi d'Alfred Jarry, et jouée à Londres en 2008. Ci-dessous, un extrait de la bande-son de la pièce avec le visuel projeté en arrière-scène : réjouissez-vous !

vendredi 18 novembre 2011

Pourrait être titré : "Where we left off"

« Mais tant qu'une communauté d'intérêts ne situera pas au centre du savoir les inclinations, les doutes, les tourments, les problèmes que chacun ressent au fil du jour -c'est à dire ce qui compose la part la plus importante de sa vie-, il n'y aura que la morgue et le mépris pour transmettre des messages dont le sens ne nous concerne pas vraiment en tant qu'êtres de désirs. »
Raoul Vaneigem in Avertissement aux écoliers et lycéens [p. 42] – Editions Mille et une Nuits – 1995

Il suffit d'expérimenter ceci une fois pour bien comprendre qu'il n'existe aucun autre moyen d'instiller un peu de savoir contenant une étincelle de vie auprès des nouveaux-venus, qui ne l'oublions pas, nous remplacerons.

dimanche 13 novembre 2011

Doublement barré, Barrett, Syd

 
Et voilà. The madcap laughs. Et s'il est vrai que le fou parle et rigole, il n'abolit pas grand chose de notre monde insensé par son cri et ses accords barrés. Doublement barrés. Syd Barrett : une personnalité. Un artiste, et un être humain, sur lequel beaucoup fondaient de réels espoirs, en deçà et en dehors de Pink Floyd.

Il composa quasiment tout le premier album des Floyd, qui demeure une œuvre remarquable dans le tourbillon des musiques du XXe siècle : « The piper at the gates of dawn ». Un mouvement alternatif entre le psychédélisme teinté de science-fiction et les nursery rhymes qui bercent les petits anglais.

Il est étonnant que peu de gens s'intéressent aux peintures de Mr Barrett, semble-t-il. Que dirait-on s'il s'agissait de Don Van Vliet alias Captain Beefheart, mais c'est aussi une autre histoire, dont nous parlerons le moment venu. Profitant du bateau réticulaire et de son formidable chalut, je choisis ici de montrer une œuvre de Mr Barrett. Esquissée avant que les paradis artificiels ne prélèvent leur dû.

 
Je pense que tout est là. Dans le regard, absent ou observateur, ce grand songe permanent dans lequel commence à dériver l'esprit de Mr Barrett. Cette façon de saisir en quelques traits l'attitude et le mental démontre aussi les capacités de l'artiste. Et sa fragilité. Ses univers féériques ne pouvaient se confronter au monde réel. Il nous reste à écouter cet opus, « The madcap laughs », parsemé de gemmes folk & rock et de souffrance aussi. On en sort souriant et grave, avec un peu de vague à l'âme, peut-être ce que voulait l'artiste ?




T.-R.

Tuxedo Moon - Dessine-moi un costume couleur de lune...


Etrange costume, couleur de lune. Il ne s'agit pas d'une citation de Charles Perrault. Ici, le « Tuxedo » pourrait nous faire penser au jazz, ballades et soirées surannées (Tuxedo junction – How high the moon – The moon was yellow...). Finalement, c'est une ruse, puisque l'écoute de Half-mute nous met face à un OVNI déroutant et captivant à la fois.

Pas de guitares saturées, mais boite à rythme, claviers, saxophone, violon, basse (plutôt mixée dans les médium) qui, entre les mains des musiciens, produisent une musique étrange, contemporaine, mais empruntant au classique, alliant dissonance et mélodies, collages sonores et voix très distanciée... Ah, la voix ! À la limite du cynisme (What use ?), de la fatigue (59 to 1), du constat désabusé (Loneliness, Seven years), du reportage (Seeding the clouds). Seul élément quelque peu humain du disque, avec le saxophone qui agite ses flopées de notes, nous éclaboussant de quelques dissonances au passage, et la bande-son de Seeding the clouds, laquelle fait ronronner des automobiles en fond, genre bruitage...

La pochette de l’album, avec ses références à l'abstraction (Malevitch, Kandinsky, mais aussi Klee...) est aussi la manière dont l'album se donne à voir. Textures, couleurs en dégradés, lignes formant des angles, géométrie non signifiante : carte géographique, d'un pays perceptible en creux, ou dessin d'architecte dont le projet n'arrive pas à émerger ? Ce n'est pas la première fois que peinture et musique coopèrent, s'influencent, définissent un style qui symbolise une époque, mais ici, tout ceci nous fait penser à l'Europe, ce qui est excellent pour un groupe de San Francisco.

S'il fallait un disque pour caractériser la fin des années soixante-dix et l'avènement d'années plus incertaines et risquées, ce pourrait être celui-là : il ne nous donne pas de réponses toutes faites, ne distille pas d'idéologie, nous laisse seul, à remâcher nos doutes et notre perplexité. Comme les signes de la plaine de Nazca, ces géoglyphes, dont on peine à trouver la signification...

Les années passant, Half-Mute s'apprécie d'autant plus qu'il demeure difficile à caractériser. L'emporterait-on sur l'île déserte ? Oui, parce qu'il propose toujours des trames et des paysages qui savent retenir l'attention. Parce que nous sommes loin des modes, du reconnaissable, et qu'il est plaisant, somme toute, d'être ailleurs de temps en temps...




Ah ben tiens ! Y a pas le dico du rock cette fois ?

T.-R.