samedi 27 août 2011

Gang of Four : le son mis en quatre


La Bande des quatre vient de faire un retour « grand public » : ils font entendre leur son aux oreilles de beaucoup, sans d'ailleurs que beaucoup sachent de qui il s'agit. En effet, une chanson extraite de leur 1er album Entertainment ! figure dans la bande-son d'une publicité pour Microsoft et sa boite à jeux. Très moderne pour quelque chose datant de 1979 ! Pur cynisme (du groupe) ou pure utilisation marketing (par EMI, Microsoft et consorts) ?

Gang of Four a pratiqué un discours politique subtil, digestion de nombreuses influences puisées chez les théoriciens de la gauche ultra et du situationnisme. Le tout régurgité en un collage de phrases à clés, d'images, l'ensemble enveloppé dans une musique boréale transistorisée, hérissée comme un oursin. Un conseil : trouvez l'album Entertainment ! Ecoutez-le !

La guitare d'Andy Gill est une non-guitare, accouplée à un chant non-mélodique et le liant est une rythmique précise aux articulations saillantes (« funk » est le mot qui revient souvent dans les descriptions : cependant, on peut mettre au défi un amateur de funk d'y trouver son compte, à première écoute bien sûr !). Pensez à un écorché de robot : vous voyez les structures, les câbles, les mouvements spasmodiques, annoncés par les tressautements des gaines en plastique. Ça bouge, mais comment ? Ça tient debout et ça avance : mais comment ?

Natural's not in it, la chanson utilisée par la publicité, propose une introduction de 25 secondes avant l'intervention de Jon King, la voix du groupe. Mais les petits malins du marketing ne pouvaient évidemment pas permettre qu'on entende le texte de la chanson, plutôt caustique vis à vis de la société  de consommation et de ses loisirs ! Donc, au mixage, ils ont couplé l'introduction du titre avec un autre extrait du morceau (situé à 1'47'', quand Andy Gill attaque une variante du riff initial). Et le bla-bla publicitaire prend place sur cette trame. Mais dans nos têtes résonne le texte initial : « The problem of leisure, what to do for pleasure, ideal love, a new purchase, a market of the senses... ». Là où Gang of Four ciselait ses phrases et concluait par « This heaven gives me migraine », la multinationale propose son aspirine et son neuroleptique cathodique.

Il fut dit, sur la radio France Culture, la même année que la sortie de l'album Entertainment! de Gang of Four, une phrase qui convient parfaitement : « La ruse de l'Histoire, c'est que lorsqu'on joue d'un instrument, même si c'est du bruit, il en sort toujours quelque chose .» Une fois que l'enregistrement est réalisé, il échappe un peu, beaucoup même, à ses créateurs. Quelle que soit la radicalité des textes, l'étrangeté de la musique, il sera possible, un jour ou l'autre, d'en récupérer des éléments et de leur faire jouer un autre rôle sur l'échiquier de la consommation. Voilà ce que nous avons sous les yeux : mais pourquoi parler de trahison des acteurs du post-punk ? Hypothèse joyeuse : la Bande des quatre, réunie autour d'une pinte de bière, hilares à l'idée d'avoir refilé à une multinationale leur chanson anticapitaliste. Les fans, hilares également, sachant de toute façon qu'ils n'achèteront pas le produit vanté par la pub. Ils ont mieux à faire que de gesticuler devant leur télé : la briser peut-être...



Sources : France Culture, émission "Nuits magnétiques" 1979 - Le punk, c'était comment déjà ?  / Rip it up and start again, postpunk 1978-1984 – Simon Reynolds – Trad . Ed. Allia 2007 / Gang of Four, notes du CD Entertainment! réédition de 1995 chez EMI

2 commentaires:

  1. Grâce à vous, cher TR, j'avais redécouvert ces Fantastic Four et depuis ce n'est jamais très éloigné de mes oreilles.
    Merci.

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  2. Ah, c'est donc vous qui me l'avez perverti avec ces trublions post-punk ?
    Soyez-en donc remercié !

    Quant au coup de la pub "Entertainment", cela m'évoque la pub pour un gros 4x4 qui avait repris le "Have love will travel" interprété par The Sonics (je ne vous ferai pas l'injure de vous demander si vous connaissez, précisons simplement pour ceux qui n'auraient jamais entendu parler qu'il s'agit d'un groupe "proto-punk" qui a sévi dans le nord-ouest des Etats-Unis entre 64 et 67 et a eu son heure de gloire avec quelques hits ravageurs comme "The Witch" ou "Psycho"). De cette pub était apparu un regain d'intérêt pour ce groupe, ce qui s'est traduit par une réunion, plus de 40 ans après sa séparation. Peut-être parce qu'il était plus facile pour eux de gérer les retombées financières de cette pub (m'est avis que ces royalties ont représenté plus que tout ce qu'ils ont gagné à l'époque de leur jeunesse...). Mais aussi parce que, dépassant la soixantaine et pas toujours dans la meilleure des santés, il s'avérait pour certains que c'était le moment ou jamais de s'y remettre. Et avec bonheur. Aujourd'hui, ils ne se contentent pas de chanter leurs anciens succès en concert (le "relevé des compteurs" chers à la presse rock...), ils créent aussi de nouveaux morceaux d'un très bon niveau, même s'ils n'ont pas tout à fait la même verdeur qu'il y a 45 ans, ce qui est somme toute normal.
    Bref, tout cela pour dire que le rapport entre punk, "proto" ou "post", et pub peut prendre, parfois, des détours amusants, et fort éloignés des considérations financières de ceux qui ont cru bon d'associer ces musiques à leurs réclames...

    Otto Naumme

    Otto Naumme

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