En 1978, j'ai commencé à développer ma passion pour le vinyl et les musiques adverses, de celles qui ne vantent pas les fleurs et les petits oiseaux, sinon dans la veine de Chaval... Et si les premières galettes furent les LP des Clash et des Pistols, j'y adjoignis presque aussitôt le « Young, Loud & Snotty » des Dead Boys et « The Modern Dance » de qui vous savez. Et Richard Hell et ses Voidoids. Bon sang, quel sélection !
L'été même, je décorai au pochoir un T-shirt d'un lettrage Pere Ubu déconstruit, visible sur le verso de la pochette de l'album. A l'époque j'ignorai tellement de choses musicalement parlant : je n'avais aucune conscience de ce qui précédait Pere Ubu, le free jazz, Beefheart, et Brian Wilson, et même la première incarnation du groupe : Rocket from the Tombs (le genre de nom que vous hésitez à prononcez chez votre belle-mère quand elle vous demande dans quel groupe vous jouez). Et puis les médias n'étaient ni nombreux, ni prolixes par rapport aux évolutions musicales en cours (c'est peu dire !).1
J'étais une page blanche, avec en plus cette envie de tabula rasa qui sied tellement à la jeunesse. The Modern Dance, c'était un truc nouveau, totalement punk, mais autant éloigné de l'Angleterre que la Croix du Sud des cieux septentrionaux ! J'ai immédiatement signé le pacte des non-alignés. A défaut de signer celui des non-aliénés...
Souvenez-vous de cette époque : quelques radios « périphériques » (que cela sonne antédiluvien de nos jours), 3 chaines de télé. Ça ne s'appelle pas le PAF. Nous ne sommes pas dans le pays du rock, mais un type sur France Inter programme Pere Ubu, parce qu'il a sa petite fenêtre, avant l'émission du Pop Club (de José Artur) et que lui, au moins, s'intéresse à ce qui se passe, souvenez-vous, vous dis-je, car il s'agit de Bernard Lenoir, que France Inter a mis de côté en cette belle rentrée 2011. J'ai déjà précisé qu'on ne vit pas dans le pays du rock. Grâce lui soit rendue : il a envoyé Street Waves dans le poste, je fus transfiguré par la voix de David Thomas et le déluge sonore balancé par ses acolytes !
L'ambiance industrielle, l'impression de déshérence, les brusques montées d'adrénaline, les collages sonores, j'écoutais la bande-son parfaite pour Je suis une légende de R. Matheson ! Real World, Laughing, Over my Head, Sentimental Journey, du papier abrasif pour dégrossir ses idées noires. Et du rock pour secouer les murs : le fabuleux Non Alignment Pact, suivi de The Modern Dance, la hargne de Life Stinks ! Enfin, il ne faut pas oublier la dérision, portée par David Thomas et le nom de Pere Ubu : It's just a joke est la phrase qui revient souvent dans Humour Me, chanson qui ferme l'album et les Radiations Chinoises nous paraissent bien décalées : « Il sera le Garde rouge, elle agitera son Livre... ». Révolution culturelle : écoutez maintenant et toujours Pere Ubu. Et n'oubliez pas Alfred Jarry, sans lequel rien de ceci n'aurait été possible ! Et d'ailleurs, renseignez-vous : David Thomas a incarné Père Ubu dans une pièce de théâtre en 2008 : il en est sorti un disque original et décapant !
1- Des années après, une plongée dans une vieille collection de Rock & Folk, me permettra de lire un témoignage relatif à Pere Ubu, vers 1975-1976... David Thomas (Crocus Behemoth à l'époque) y parlait de four lane drifting ou comment passer de la voie de gauche à la voie de droite du périphérique de Cleveland sans trop de casse ! J'y pense à chaque fois que je mets mon clignotant !
Sources : Le Monde (1978-1980) chroniques d'A. Wais (il chroniqua les premiers concerts parisiens de Pere Ubu au Gibus et au Bataclan) - Dictionnaire du Rock (sous la direction de M. Assayas) – Bernard Lenoir (sa fenêtre musicale dans le Pop Club sur France Inter précéda la création de l'émission Feedback (1978), qu'il devait conduire durant de nombreuses années) – Rock & Folk 1975-1976)
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