Une illumination. Comment peut-on appeler cela autrement ? J'écoutais distraitement un morceau de disco, du Boney M et soudainement, j'ai pensé aux Cramps. Ah ! Quel rapport y a-t-il entre la moquette de Bobby Farrell et les deux montres à quartz de Brian Gregory ? Ivy Poison aurait-elle été crédible en madone des dancefloors ? Et Lux Interior en strip-teaser ? (quoique, en concert...). En fait, le phénomène est plus d'ordre spirituel. Oui, spirituel.
Pourquoi, en 1975, monter un groupe comme les Cramps, qui enfourche les canons d'un rock'n'roll dont les derniers feux s'étaient consumés fin des années cinquante, ce qui pouvait paraître comme une régression totale, face aux étincelles de la scène punk naissante ?
Question de culture et d'esprit : quand on est fondu de disques de rock parus juste avant 1959, quand on s'intéresse fortement aux punk des sixties et quand on a dévoué sa vie à la sous-culture américaine des comics, films de série Z et autres bizarreries bon marché, on ne peut que fonder les Cramps ! Pas d'alternative (dans cet ordre d'idées, Boney M est une version cheap, grand public, de ce que doit être la disco : cette culture qui associe musique à danser imparable avec boule à facette, danseur (non-bodybuildé) chemise ouverte, avec force pilosité pectorale et choristes blacks... Dans l'imaginaire du producteur de Boney M, la disco, c'était ça ! ).
Cramponnés au rock : c'est ainsi qu'on peut décrire l'état d'esprit des Cramps. Il s'agit du rock d'avant, lorsqu'il était sauvage (et que les forces marketing ne l'avaient pas réduit à de la soupe pour ado formatés). Mais ils n'ont, malgré leur apparence, jamais été sectaires, simplement passionnés. Le rock redevenu sauvage, après son passage en Grande Bretagne, et essaimant de nouveau en punk garage aux Etats-Unis, les a aussi intéressés, comme en témoigne leur discographie. Nous ne sommes pas dans ce qu'on a pu appeler un temps du « punkabilly », mais au cœur d'une vraie démarche, bouillonnante. Lux Interior déclarait : « Yeah, we're into bloodlust, not death. Into boiling life.»
Pour les Cramps, le vaudou, les accessoires SM, le théâtre grandguignolesque, le tout à la sauce rock'nroll, est la materia prima de l'existence, ce qui pousse à ne pas se lever le matin, mais plutôt le soir, ce qui conduit à porter des lunettes de soleil dès que le jour paraît, et mène à des achats compulsifs de vinyles dans des boutiques interlopes... Et bien sûr tend à développer un extraordinaire sens de l'humour (noir et décalé)... Qui d'autre aurait pu écrire (dans « Mean Machine ») : « Ya wanna go to the Devil but you don't like the flames. »
Lux a certes rejoint l'arrière-boutique du marchand de farces et attrapes, mais nous sommes prêt à parier qu'il sort de temps en temps, pour faire trembler les murs et les armoires de vos grands-mères après minuit, alors... Remettez l'aiguille dans le vinyl, et sentez le désir venir du haut de votre épine dorsale, comme aurait dit Henry Miller !
Sources : The wild wild world of the Cramps – Ian Johnston (Omnibus Press) ; 1990 / Dictionnaire du Rock -sous la direction de M. Assayas - coll. Bouquins-Robert Laffont ; 2000
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