Car la reproduction d'un
exemplaire de L'anarchie,
daté du jeudi 27 décembre 1906, nous donnait quelques lignes d'un
texte de Libertad qui ne se trouve pas dans le livre Le culte de la
charogne paru aux éditions Galilée en 1976...
Ce
texte, le voici :
Ah ! Ah ! C’est le jour de
l’an !
La voix claire de l’enfant et la voix cassée du
vieillard entonnent la même ballade : la ballade des vœux et
souhaits.
L’ouvrier à son patron, le débiteur à son
créancier, le locataire à son propriétaire disent la ritournelle
de la bonne et heureuse année. Le pauvre et la pauvresse s’en vont
par les rues chanter la complainte de la longue vie.
Ah ! Ah ! C’est le jour de
l’an !
Il faut que l’on rie ! Il faut que
l’on se réjouisse. Que toutes les figures prennent un air de fête.
Que toutes les lèvres laissent échapper les meilleurs souhaits. Que
sur toutes les faces se dessine le rictus de la joie.
C’est le jour du
mensonge officiel, de l’hypocrisie sociale, de la charité
pharisienne. C’est le jour du vernis et du convenu.
Les faces s’illuminent et les maisons
s’éclairent ! Et l’estomac est noir et la maison est vide.
Tout est apparent, tout est façade, tout est leurre, tout est
tromperie ! La main qui vous accueille est un rictus ou une
grimace. Le souhait qui vous reçoit est un blasphème ou une
moquerie.
Dans la curée âpre des appétits, c’est
l’armistice, c’est la trêve. Dans l’âpre curée des
batailles, c’est le jour de l’an.
On entend l’écho qui répète la voix
du canon et qui redit le sifflet de l’usine. La mitrailleuse fume
encore et encore ; la chaudière laisse échapper la vapeur.
L’ambulance regorge de blessés et l’hôpital refuse des malades.
L’obus a ouvert ce ventre et la machine à couper ce bras. Les
crimes des mères, les pleurs des enfants font retentir à nos
oreilles l’affreuse mélodie de la douleur, toujours la même.
Le drapeau blanc flotte : c’est
l’armistice, c’est la trêve, pour une heure et pour un jour, les
mains se tendent, les faces se sourient, les lèvres bégaient des
mots d’amitié : ricanements d’hypocrisie et de mensonges.
Bonne vie à toi, propriétaire qui me
jettera sur le pavé de la ville sans t’occuper du froid ou de
l’averse ?
Bonne vie à toi patron qui me
diminua ces jours derniers, parce que faiblissait mon corps après la
dure maladie que je contractai à ton service ?
Bonne vie, bonne année à vous tous,
boulangers, épiciers, débitants qui enserraient ma misère de vos
péages honteux et qui tenaient commerce de chacun de mes besoins, de
chacun de mes désirs.
Et bonne vie et bonne santé à tous,
mâles et femelles, lâchés à travers la civilisation : bonne
année à toi, ouvrier honnête, à toi, maquereau régulier, à toi,
catalogué du mariage, à toi, inscrit aux livres de police, à vous
tous dont chacun des gestes, chacun des pas est un geste et un pas
contre ma liberté, contre mon individualité ?
Ah ! Ah ! bonne vie et bonne
santé ?
Vous voulez des vœux, en voilà.
Que crève le propriétaire qui détient
la place où j’étends mes membres et qui me vend l’air que je
respire !
Que crève le patron qui, de longues heures, fait
passer la charrue de ses exigences sur le champ de mon corps.
Que crèvent ces loups âpres à la curée
qui prélèvent la dîme sur mon coucher, mon repos, mes besoins,
trompant mon esprit et empoisonnant mon corps !
Que crèvent les catalogués de tous sexes
avec qui les désirs humains ne se satisfont que contre promesses,
fidélités, argent ou platitudes !
Que crève l’officier qui commande le
meurtre et le soldat qui lui obéit ; que crève le député qui
fait la loi et l’électeur qui fait le député !
Que crève le riche qui s’accapare une
si large part du butin social, mais que crève surtout l’imbécile
qui prépare sa pâtée.
Ah ! Ah ! C’est le jour de
l’an !
Regardez autour de vous. Vous sentez plus
vivant que jamais le mensonge social. Le plus simple d’entre vous
devine partout l’hypocrisie gluante des rapports sociaux. Le faux
apparaît à tout pas. Ce jour-là, c’est la répétition de tous
les autres jours de l’an. La vie actuelle n’est faite que de
mensonge et de leurre. Les hommes sont en perpétuelle bataille. Les
pauvres se baladent du sourire de la concierge au rictus du bistrot
et les riches de l’obséquiosité du laquais aux flatteries de la
courtisane. Face glabres et masques de joie.
La caresse de la putain a comme équivalent
le sourire de la femme mariée. Et la défense du maquereau est
pareille à la protection de l’époux. Truquages et intérêts.
Pour que nous puissions chanter la vie, un
jour, en toute vérité, il faut, disons-le bien hautement, laisser
le convenu et faire un âpre souhait :
Que crève le vieux monde avec son
hypocrisie, sa morale, ses préjugés qui empoisonnent l’air et
empêchent de respirer.
Que les hommes décident tout à coup de
dire ce qu’ils pensent. Faisons un jour de l’an où l’on ne se
fera pas de vœux et de souhaits mensongers, mais où, au contraire,
on videra sa pensée à la face de tous.
Ce jour-là, les hommes comprendront qu’il
n’est véritablement pas possible de vivre dans une pareille
atmosphère de lutte et d’antagonismes. Ils chercheront à vivre
d’autre façon. Ils voudront connaître les idées, les choses et
les hommes qui les empêchent de venir à plus de bonheur. La
Propriété, la Patrie, les Dieux, l’Honneur courront risque d’être
jetés à l’égout avec ceux qui vivent de ces puanteurs.
Et sera universel ce souhait qui semble si
méchant et qui est pourtant rempli de douceur :
Que crève donc le vieux monde !
Merci à l'honnête cambrioleur d'avoir publié ceci. *
De la nécessité d'être libertaire... Quand les perfides corsets se relâchent, profiter de l'instant...